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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/594

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humaine, voilà ce qui est la condition nécessaire du système de Fourier et de tout système analogue.

Et il ne fallait pas avoir la fausse honte de se le dissimuler à soi-même. Changer la nature humaine ce n’est pas une chimère. Toutes les religions et toutes les morales depuis qu’il y en a, n’ont pas eu d’autre but, et n’ont pas eu d’autre effet. L’homme les a créées tour à tour pour se changer, et il y a réussi. Il n’est pas le même qu’il était en sa nouveauté. Il s’est modifié. La civilisation n’est pas autre chose qu’un changement de sa nature. Il faut hardiment dire, quand on apporte une réforme, qu’on vient changer la nature humaine. Seulement cette hardiesse-là comporte toujours une grande humilité, parce que, quand on prend les choses ainsi, on sait parfaitement que le changement qu’on apporte ne peut être que très léger ; quand on sait que tout vrai progrès est un changement de la nature de l’homme, on sait par cela même que le progrès sera infiniment lent, parce que l’homme ne peut évidemment changer sa nature que par efforts énormes et par effets insensibles ; et on ne croit pas, comme Fourier, qu’il passera de l’état civilisé à l’étal harmonien en un quart de siècle.


V

On voit que Fourier, successeur immédiat de Babeuf, et traçant, dès 1808, l’esquisse général du système harmonien, est le vrai héritier de Jean-Jacques Rousseau, et le vrai ancêtre d’une partie au moins très considérable des collectivistes modernes. Comme Rousseau, il croit fermement que la civilisation s’est trompée, et qu’il faut retourner, sinon à un « état primitif » antérieur, du moins à un plan primitif qui était celui de Dieu et dont l’humanité a eu le tort de s’écarter. Il n’y a pas eu un « état de nature » dont on a perdu le secret ; mais il y avait un état naturel qu’on n’a pas su comprendre, un « ordre social préétabli » concordant à la nature de l’homme, pour lequel nos passions ont été faites, dans lequel elles s’harmonisent de tous points, hors duquel elles sont forcément on discordance ; et c’est cet ordre qu’il s’agit de retrouver. Et la première chose à faire pour cela, c’est de renoncer à la civilisation tout entière, qui offusque cet ordre naturel et nous empêche de le voir. On a « étouffé la voix de quelques hommes qui inclinaient à la sincérité, tels que Hobbes et Rousseau, et qui entrevoyaient dans la civilisation un renversement des vues de la Nature, un développement de tous les vices. » Il faut reprendre leurs théories et les pousser jusqu’à leurs vraies conséquences. Fourier a très bien compris que