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de propagande tout à fait anarchistes. Des agitateurs parcouraient le pays en tenant des discours et distribuant des pamphlets incendiaires. Les parlemens sont formés « de comités de voleurs corpulens, d’escrocs bien élevés, d’orateurs prostitués, d’abjects vendus… L’arbre de la liberté ne porte des fruits que lorsqu’il a été fumé avec les os de ces gras usuriers, de ces insolens despotes. » On engageait les grévistes « à étudier la science de la mort, à employer les balles, l’acier, la mélinite, les torpilles, le poison, les explosions. » Des hangars, des bateaux chargés de laine furent brûlés ; des tondeurs, non affiliés au syndicat, enlevés, enchaînés et retenus dans des endroits écartés ; d’autres furent même tués à coups de fusil. Plus atroces encore furent les cas d’empoisonnement : une tentative de ce genre fut faite de nouveau dans le Queensland en 1895, pendant mon séjour en Australie, et faillit coûter la vie à plusieurs dizaines de personnes. Sans doute les chefs des trade-unions n’approuvaient pas ces sauvageries, mais ils n’osaient les répudier ouvertement : aucun député, aucun journal ouvrier n’a manifesté publiquement son indignation. La notion de la liberté du travail, en Australie comme en Europe, a complètement disparu dans les milieux populaires. Un témoin oculaire de l’incendie d’un bateau par les grévistes, sur le Murray, me dit que l’impression générale parmi les ouvriers des grandes mines d’argent de Broken Hill, où il habitait, avait été celle-ci : « Il y a longtemps déjà qu’on aurait dû le brûler ; ç’a toujours été un bateau étranger au syndicat » ; et mon interlocuteur, brave commerçant de détail, aisé pourtant et nullement révolutionnaire, tout en déplorant les violences, trouvait que les squatters avaient eu tort de ne pas accepter l’arbitrage, de vouloir aller jusqu’au bout de leurs droits. Toutes les grandes grèves récentes, ajoutait-il, ont échoué, et cela entretient une grande animosité parmi les ouvriers. Grâce au socialisme des tondeurs de moutons, les représentans de certains districts ruraux sont parmi les plus révolutionnaires des parlemens australiens.


III

L’influence des doctrines socialistes se fait sentir dans toutes les parties de la législation australienne : lois sur les terres et sur le travail dans les manufactures, système d’impôts, tendance générale de l’État à se faire industriel et commerçant, à empiéter de plus en plus sûr le domaine de l’initiative privée.

C’est la législation terrienne qui a surtout attiré dans ces dernières années l’attention des gouvernemens désireux de résoudre