dates des séjours de Spinoza à Rhynsbourg et à Voorbourg. Et il n’y a pas jusqu’aux renseignemens qu’il tient de Van der Spyke qui ne soient suspects : telle l’accusation de vol qu’il porte contre le docteur Meyer, l’exécuteur testamentaire de Spinoza et l’éditeur de ses Œuvres posthumes ; tel encore le passage fameux où il raconte que Spinoza « exhortait les enfans de la maison à assister souvent au service divin, » trait de tolérance assurément très touchant, mais assez invraisemblable si l’on songe qu’au moment de la mort du philosophe l’aîné de ces enfans avait un peu plus de huit ans ! Puisse Colerus s’être trompé, de même, dans son récit non moins fameux des passe-temps de Spinoza ! « Lorsqu’il voulait se relâcher l’esprit, il cherchait des araignées qu’il faisait se battre ensemble, ou des mouches qu’il jetait dans les toiles d’araignées : et regardait ensuite cette bataille avec tant de plaisir que souvent il éclatait de rire. » L’image en raccourci qu’il s’offrait là du monde avait, certes, de quoi l’égayer : mais nous avons tant changé de sentiment, depuis le cartésianisme, touchant le degré de notre parenté avec les animaux, que le trait, quoique nous en ayons, nous révolte un peu. Puisse Colerus l’avoir inventé !
Le malheur est que, tout en connaissant l’inexactitude des renseignemens de Colerus, nous n’en ayons guère de plus exacts à leur substituer. Il a bien paru en 1719, dans les Nouvelles littéraires d’Amsterdam, une notice biographique écrite en français, attribuée par les uns au médecin Lucas, par d’autres à M. de Saint-Glain, et dont Boulainvillers a reproduit quelques morceaux, dans sa Réfutation des erreurs de Spinoza. Plus courte et moins riche en détails que celle de Colerus, elle est en revanche infiniment plus sûre[1], et l’on ne saurait trop regretter que les éditeurs de l’Éthique n’aient point cru devoir la publier en tête de leurs éditions, de préférence au recueil d’anas du pasteur de la Haye. Mais ses renseignemens se réduisent encore, somme toute, à assez peu de chose ; et en dehors d’eux nous n’avons guère d’autre source d’information que de brèves lignes, éparses, çà et là, dans les écrits du temps[2].
Voici cependant un document plus important, et trop peu connu. C’est la relation faite par un voyageur allemand, Gottlieb Stolle, de deux entretiens qu’il eut à Amsterdam en 1703, avec d’anciens amis de Spinoza. Restée inédite pendant près de cent cinquante ans, elle a été imprimée pour la première fois en 1847, dans une revue allemande.