Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/710

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Isaac Aboab de Fonseca, Menasseh ben Israël, et Saul Lévi Morteira. Je croirais volontiers que l’exemple du malheureux da Costa ne fut point sans aider à développer en lui cette prudence, cette réserve, cette obstination à cacher ses idées, qui furent toujours parmi les traits dominans de son caractère. Et qui sait si ce n’est pas cet exemple aussi qui, le premier, éveilla chez l’enfant des doutes sur la valeur des doctrines qu’on lui enseignait ? Une autre influence, à dire vrai, peut également y avoir contribué. « Souvent, dit M. Meinsma, durant les années 1644 et 1645, Spinoza dut voir à la synagogue un goym[1], un homme du peuple, en vérité, mais d’un sérieux et d’une intelligence bien au-dessus de sa condition. Souvent il dut l’entendre engager avec les rabbins de longues discussions, tantôt les interrogeant, tantôt les réfutant, à grand renfort de citations des Pères de l’Église. Et l’on se tromperait à croire qu’il s’agit ici d’un zélateur protestant : cet homme était le mennonite Jean, dit Beelthouwer, un artisan qui, né en 1603, a employé sa vie tout entière à chercher la vérité. Plus d’une fois nous le retrouverons dans l’entourage de Spinoza. »

Beelthouwer faisait en effet partie de ces « collegians » d’Amsterdam auprès desquels le jeune Spinoza trouva un accueil si affectueux lorsque, en 1654, le rabbin Morteira l’eût définitivement chassé de la synagogue. Ces braves gens avaient eu à endurer toutes sortes de persécutions de la part des autorités religieuses, pendant la première moitié du XVIIe siècle, et en 1648 leurs réunions avaient été officiellement interdites. Mais deux ans après ils avaient recommencé à se réunir. Le dimanche, vers cinq ou six heures, on les voyait entrer, tantôt dans la maison de Corneis Moorman sur le canal aux Tilleuls, tantôt sur la Digue de Harlem, chez un Anglais qui partageait leurs idées. Suivant l’usage des anabaptistes, ils passaient gravement la soirée à lire et à méditer un passage des Saintes Écritures, mais en se réservant une liberté absolue d’appréciation et de discussion. Fervens chrétiens, c’étaient déjà, à leur insu, des libres penseurs accomplis : et si aucun d’eux, à l’exception de van den Enden, n’a exercé sur Spinoza une action directe, leur fréquentation n’en a pas moins achevé d’émanciper l’esprit du jeune philosophe.

Il y avait là des hommes de tout âge et de toute condition, depuis d’anciens pasteurs jusqu’à des, étudians qui venaient en curieux. Au premier rang figuraient Daniel Van Breen, ex-remontrant converti à l’anabaptisme et zélé partisan de la doctrine du millenium ; le savant Adam Boreel, qui avait dépensé sa jeunesse à des expériences d’alchimie, et qui prêchait maintenant un retour de l’Église aux doctrines des premiers apôtres ; Galenus de Haan, un médecin fameux, dont les

  1. Un païen.