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chose que ce qui est. Le malheur est qu’ils sont beaucoup plus d’accord entre eux sur le mal présent que sur le remède à y appliquer. Chacun entend la révision à sa manière. Chacun est convaincu que, si on le chargeait de l’opérer, il s’en tirerait parfaitement bien à lui tout seul, et qu’il montrerait des qualités de Solon ou de Lycurgue très supérieures à celles dont a fait preuve autrefois le respectable M. Wallon. La constitution de M. Wallon est, en effet, s’il faut les en croire, pleine de défauts qui sautent aux yeux, et d’autant plus naturels qu’elle a été le résultat d’une transaction. Elle a pourtant un mérite, d’ailleurs très rare chez nous, c’est d’avoir déjà duré vingt et un ans, et on peut remarquer, non seulement en France mais ailleurs, que, de toutes les constitutions, celles-là seules ont duré qui ont été le résultat d’un compromis entre les idées et les partis contraires. Celles qui sont sorties d’un seul jet du cerveau d’un théoricien ont pu être merveilleusement faites, habilement agencées, composées de parties concordantes, fortement conçues et logiquement déduites ; elles n’ont eu d’autre tort que de n’être pas nées viables. Elles sont restées en route, alors que l’évolution historique continuait son cours en se jouant des systèmes et de ceux qui les avaient imaginés et combinés si bien. C’est là une grande leçon. Elle nous fait craindre que si le meilleur des députés, — nous entendons par-là le plus intelligent, le plus désintéressé, le plus expérimenté, — était chargé de refaire la constitution, il ne fit pas une œuvre assurée de vivre aussi longtemps que sa devancière a vécu déjà. Et le principal mérite d’une constitution n’est-il pas de durer ? On accuse avec raison l’instabilité ministérielle et gouvernementale. C’est une plainte qui sort, en quelque sorte chaque jour, de la pratique même des affaires. Ces interruptions et ces renouvellemens continuels ont les conséquences les plus fâcheuses, et, comme ces conséquences se présentent pour nous tous les six mois, nous ne pouvons pas en ignorer les inconvéniens. Mais, si nous jetons un regard rétrospectif sur notre histoire, est-ce que la mobilité de nos institutions fondamentales, ou, pour les appeler par leur nom, de nos constitutions, n’a eu des suites non moins fâcheuses, sinon plus, et aussi souvent dénoncées ? Il n’y a pas au monde un autre peuple qui soit aussi souvent que nous en mal de constitution. Tous les autres réforment leur constitution existante sans le dire, sans que personne s’en aperçoive, sans appeler sur cette transformation les regards de l’univers, au fur et à mesure qu’ils en ont besoin. Les plus heureux n’ont même pas de constitution écrite ; ils vivent sur des traditions toujours transformables et perfectibles. Pourquoi ne ferions-nous pas de même ? La preuve que la constitution actuelle n’est pas un corset de fer qui emprisonne nos membres et les empêche de se développer à l’aise, c’est qu’on a déjà pris beaucoup de libertés avec elle, et le fait est, — comme on l’a démontré plus d’une fois, — qu’elle ne ressemble pas