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constitués, sans parler de ceux qui ne le sont plus ou ne le sont pas encore, et qui viendraient à s’y heurter, le caractère particulier et le genre de talent des hommes qui représentent ces partis, on est effrayé de ce qui pourrait sortir d’une pareille épreuve. La révision de l’avenir ne ressemblerait certainement pas à celles du passé ; elle serait autrement profonde et révolutionnaire ; elle ouvrirait une porte qui ne se fermerait plus. La constitution en sortirait plus ébranlée que révisée. Elle serait la proie d’une aventure à laquelle il serait presque impossible d’assigner un terme. Nous avons assisté à une révision de la Constitution ; c’était sous le ministère de M. Jules Ferry ; tout avait été fixé, arrêté par avance ; la réforme ne portait que sur un point ou deux du texte primitif. Il était convenu que le Congrès ne serait qu’une Chambre d’enregistrement, et qu’il se contenterait de sanctionner ce qui avait été convenu d’avance. Le gouvernement, s’il est permis de le dire, avait alors une autre force et une autre autorité qu’aujourd’hui. Eh bien ! nous avons été pendant plusieurs jours à la merci du hasard qui pouvait nous jeter dans l’abîme. Il n’est pas un de ceux qui ont pris part au Congrès de cette époque qui n’ait gardé le souvenir des inquiétudes sous le poids desquelles il a délibéré. L’agitation des esprits était extrême. Il a fallu toute l’énergie du gouvernement, toute la fermeté du président de l’Assemblée nationale, pour empêcher celle-ci de tomber dans les embûches et dans les pièges qui lui étaient tendus de toutes parts. Nous exposerons-nous de nouveau à de pareils dangers ? On nous le proposera certainement, et il n’est pas impossible que la proposition vienne des membres les plus modérés de la Chambre : les autres seront heureux de les laisser faire, attendant leur moment. A tous les périls que nous avons indiqués s’ajouteront ceux qui résultent du caractère tout spécial du Congrès révisionniste, tel que la Constitution l’a prévu. Les anciennes assemblées constituantes étaient en même temps des assemblées législatives, quelquefois même des assemblées souveraines, ce qui n’était pas non plus sans inconvéniens, mais du moins elles trouvaient une sorte de frein dans le souci qui s’imposait à elles des affaires normales du pays. Elles devaient y pourvoir et l’obligation de ce travail quotidien les contenait, atténuait leurs ardeurs premières, les amenait peu à peu à cet esprit de conciliation qui s’établit entre des personnes aux prises en commun avec les grandes affaires. Croit-on que l’Assemblée nationale de 1875 aurait voté la constitution actuelle quelques années, ou même quelques semaines plus tôt qu’elle ne l’a fait ? On sait bien que non. Il a fallu pour cela qu’elle s’assagît, ou, si on veut, qu’elle s’usât par la stérilité de ses efforts antérieurs, essayés dans les sens les plus opposés. Le temps et les affaires ont toujours été, dans le passé, les modérateurs des assemblées constituantes. Nous ne parlons pas de la Convention ; elle a vécu dans des circonstances trop exceptionnelles pour servir