respectait mieux, dans les fonctionnaires, l’indépendance du citoyen. Il suffisait qu’un orateur fût républicain pour que tout le monde, même un préfet, eût le droit d’aller l’entendre et l’applaudir. Cela est matériellement exact, et M. Bourgeoisie sait mieux que personne. Il lui est arrivé déjà, après avoir été ministre, de se retrouver simple député ; il allait alors prononcer des discours en province, et toute l’administration d’un chef-lieu de département, préfet en tête, se pressait autour de lui. Dans le ministre de la veille, on voyait volontiers le ministre du lendemain, et on le traitait en conséquence. A notre avis, ce spectacle était tout simplement scandaleux. Il l’était alors, il le serait aujourd’hui davantage. De pareilles mœurs ne pouvaient s’excuser ou s’expliquer que sous le régime de la concentration républicaine, qui les avait fait naître ; et qui donc a dénoncé la concentration républicaine, si ce n’est M. Bourgeois lui-même ? Comment a-t-il pu croire que les habitudes d’autrefois pourraient se perpétuer au cours de l’ère nouvelle qu’il a ouverte ? M. Bourgeois, dans son discours de Lisieux, a prédit, avec une assurance qui aurait été mieux à sa place au sud de la Garonne, qu’il reviendrait très prochainement au pouvoir : pense-t-il qu’une telle affirmation aurait pu être applaudie, voire écoutée par le préfet de l’Eure, ou même par un fonctionnaire quelconque, sans qu’aucune convenance eût été blessée ? Que deviendrait la discipline administrative si on la soumettait à beaucoup d’épreuves de ce genre ? L’étonnement manifesté par M. Bourgeois nous étonne, surtout de la part d’un ancien président du Conseil qui était en même temps ministre de l’Intérieur. Il est un des plus curieux symptômes de ces confusions d’idées, de ces contradictions de conduite, en un mot de cet éclectisme un peu mais que nous avons vu fleurir pendant ces dernières années et qui a été si fatal à l’esprit de gouvernement. Le ministère actuel proteste contre ce laisser aller ; il a le courage de se défendre ; il défend du même coup les principes fondamentaux sur lesquels repose toute société politique. Point n’est besoin pour cela que la Constitution soit révisée : quand même elle l’aurait été, il n’aurait été, lui, ni plus fort, ni mieux inspiré. On a presque honte de le louer d’avoir fait une chose aussi naturelle ; mais il le faut bien puisqu’on l’en a blâmé, quand M. Bourgeois redeviendra ministre, ce qui, à l’entendre, ne saurait tarder plus de quelques semaines, nous doutons qu’il permette désormais à ses fonctionnaires d’assister aux discours que M. Barthou, ou M. Poincaré, ou M. Deschanel iront prononcer en province ; et il aura raison. Mais peut-être les autorisera-t-il à aller applaudir ceux de M. Jaurès ; et il aura tort.
Une autre tâche que le ministère actuel paraît s’être donnée, au moins partiellement, est de faire respecter les lois sur toute la surface du territoire. Quand la Révolution a proclamé la république une et indivisible, elle a entendu dire qu’il n’y avait qu’une loi pour tout le