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toutes les questions soulevées avaient été tranchées en faveur de la titulaire[1]. On comprend qu’une charge aussi considérable fût l’objet de beaucoup d’ambitions. Laissons ici parler Saint-Simon : « Toutes les dames d’une certaine portée d’état ou de faveur s’empressèrent et briguèrent, et beaucoup aux dépens les unes des autres. Les lettres anonymes mouchèrent, les délations, les faux rapports. Tout se passa uniquement là-dessus entre le Roi et Mme de Maintenon qui ne bougeoit du chevet de son lit pendant toute sa maladie, excepté lorsqu’il se laissoit voir, et qui y étoit la plupart du temps seule. Elle avoit résolu d’être la véritable gouvernante de la Princesse, de l’élever à son gré et à son point, et de se l’attacher en même temps assez pour pouvoir en amuser le Roi sans crainte qu’après le temps de poupée passé, elle pût lui devenir dangereuse. »

Dès que Mme de Maintenon est en cause, il faut se méfier de Saint-Simon. Mais dans la circonstance, il doit avoir raison. L’habile femme qui s’était si complètement emparée de l’esprit du monarque ne pouvait se désintéresser d’une question aussi capitale pour elle que celle de l’entourage de la jeune princesse. Si, mal conseillée, celle-ci se montrait rebelle à son autorité et à son influence ; si, au lieu de se comporter en élève docile, elle s’érigeait peu à peu en rivale ; si, une fois mariée, elle réclamait son rang, ses droits, et si en même temps, pour faire la conquête d’un souverain qui approchait de la soixantaine, elle déployait ces grâces à l’aide desquelles il est tellement facile à la jeunesse de captiver l’âge mûr, qu’adviendrait-il de ce crédit mystérieux, ménagé avec tant de soins, de cette faveur achetée au prix de vingt-cinq années de patience et de sacrifices ? Il est impossible que, dans ses heures solitaires, elle ne se soit pas posé ces questions avec une certaine anxiété, et quelques traces de ces préoccupations apparaissent déjà au cours de la négociation que nous avons racontée. Bien qu’aux péripéties de cette négociation elle soit, en apparence du moins, demeurée tout à fait étrangère, cependant, au moment de la conclusion, elle ne veut point être oubliée. A peine le traité du 29 juin est-il signé entre Groppel et Tessé qu’elle écrit à ce dernier une lettre qui malheureusement ne se trouve pas dans les papiers de Tessé, mais que Barbezieux, en la transmettant, accompagnait de ce commentaire : « Voilà une lettre de Mme de Maintenon qui peut-estre ne vous déplaira pas. En me parlant des excuses que vous faittes dans vostre lettre au Roy d’avoir si mal exécuté ses ordres, elle est convenue que le titre d’un fin Manceau vous convenoit à merveille[2]. » A la duchesse Anne de Savoie elle

  1. Saint-Simon, Additions au journal de Dangeau, t. IX, p. 33.
  2. Papiers Tessé. Barbezieux à Tessé, juillet 1696.