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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/734

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par la fenêtre, la duchesse du Lude dans sa chaise, avec sa livrée, qui traversoit le bas de la grand’cour, qui revenoit de la messe. « En voilà une qui passe, dit-il au Roi, qui en a bonne envie et qui n’en donne pas sa part », et il lui nomme la duchesse du Lude. « Bon, dit le Roi, voilà le meilleur choix du monde pour apprendre à la Princesse à mettre du rouge et des mouches », et ajouta des propos d’aigreur et d’éloignement. C’est qu’il étoit alors dévot, plus qu’il ne l’a été depuis, et que ces choses le choquoient davantage… Le lendemain, presque à pareille heure, Monsieur étoit seul dans son cabinet. Il vit entrer l’huissier qui étoit en dehors et qui lui dit que la duchesse du Lude étoit nommée. Monsieur se met à rire, et répondit qu’il lui en contoit de belles ; l’autre insista, croyant que Monsieur se moquoit de lui, sortit et ferma la porte… Peu de momens après vinrent d’autres gens qui confirmèrent de façon qu’il n’y eut plus moyen d’en douter. Alors Monsieur parut dans une telle surprise qu’elle étonna la compagnie qui le pria d’en dire la raison. Le secret n’était pas le fort de Monsieur : il leur conta ce que le roi lui avoit dit vingt-quatre heures auparavant, et à son tour les combla de surprise. L’aventure se sut et donna tant de curiosité qu’on connut la cause d’un changement si subit. »

Voici, toujours au dire de Saint-Simon, quelle aurait été la cause de ce changement. La duchesse du Lude avait à son service depuis son enfance une vieille mie qui l’avait élevée et qui s’appelait Mme Barbesi. Celle-ci était de son côté l’amie de celle que Saint-Simon appelle quelque part la sous-fée de la fée, de cette fameuse Nanon que Mme de Maintenon avait conservée auprès d’elle « du temps de sa misère et qu’elle étoit veuve de Scarron, à la Charité de sa paroisse », qui l’avait suivie à la Cour et qui, suivant Mme de Caylus, aurait été confidente et témoin de son mariage avec Louis XIV. C’est entre ces deux femmes de chambre que l’affaire aurait été traitée, et vingt mille écus adroitement promis par Mme Barbesi à Nanon auraient déterminé la sous-fée à user de son influence sur la fée pour qu’elle usât à son tour de son influence sur Louis XIV en faveur de la duchesse du Lude. Du jour au lendemain Louis XIV lui aurait pardonné son rouge et ses mouches, et il aurait consenti à sa nomination. Et Saint-Simon d’ajouter : « Et voilà les Cours ! Une Nanon qui on vend les plus riches et les plus importans emplois ; et une femme riche, duchesse, de grande naissance par soi et par ses maris, sans enfans, sans liens, sans affaires, libre, indépendante, a la folie d’acheter chèrement sa servitude. »

L’histoire est-elle bien vraie, et Saint-Simon ne se met-il pas