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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/754

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et Torcy l’en félicitait. « Vous savez que le Roy n’a rien voulu décider sur le rang que Madame la Princesse doit tenir en France avant son mariage. Vous avés pris le party qui estoit le plus convenante en ne demandant point à vous asseoir devant elle. Vous ne faites aucun tort à ce qui vous est dû, et vous évités beaucoup d’embarras à Sa Majesté[1]. »

L’embarras du Roi provenait de ce que, s’il donnait à la princesse Adélaïde le rang de duchesse de Bourgogne, elle prenait immédiatement le pas dès son arrivée non seulement sur toutes les jeunes princesses qui étaient à la Cour, mais sur Madame, la seconde femme de son propre grand’père. Or Madame, Allemande de naissance et férue d’étiquette, n’entendait pas raillerie sur les questions de préséance, et le Roi en avait un peu peur. Mais ce fut Monsieur qui trancha la difficulté, et qui pressa le Roi de donner le pas à sa petite-fille sur sa propre femme. Mme de Maintenon, toujours préoccupée de ce qui pourrait maintenir la princesse sous son influence, n’avait point été de cet avis. « Monsieur presse pour qu’elle s’appelle duchesse de Bourgogne, écrivait-elle à l’archevêque de Paris[2]. Je m’y oppose parce qu’il n’y a guère de raisons de porter le nom d’un homme avant de l’avoir épousé, mais encore plus par l’espérance que toutes ces difficultés la renfermeront davantage. Il en sera ce qui plaira à Dieu. » Ce fut Monsieur qui remporta. Dans une lettre adressée « à sa chère sœur et nièce » la duchesse Anne de Savoie, Louis XIV l’informait de sa décision, et peu de temps après, il recevait d’elle une réponse où non seulement la reconnaissance mais l’attendrissement perce sous les formes de l’étiquette. Torcy en même temps informait Desgranges. « Pour lever les embarras que le rang incertain de Madame la Princesse de Savoye peut faire naître tous les jours, le Roy s’est déterminé à donner dès à présent à cette princesse le rang de duchesse de Bourgogne sans luy en donner le titre avant son mariage… La duchesse du Lude s’asseoira devant elle, et, dans les harangues, les honneurs lui seront rendus comme aux filles de France, sans cependant luy donner le titre d’Altesse Royale[3] ». Cette importante question tranchée, tout devenait facile au point de vue de l’étiquette. Il n’y avait qu’à rendre à l’enfant de onze ans qui allait mettre pour la première fois le pied sur le sol de la France, les plus grands honneurs qui pussent être rendus à une princesse, et la duchesse du Lude, qui seule conservait le droit de s’asseoir devant elle sur un tabouret, était femme à y tenir la main.

Toutes choses étant ainsi réglées à l’avance, le cortège qui

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 93. Torcy à Brionne.
  2. Correspondance générale, t. IV. Lettre CDXXXVIII, page 127.
  3. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 95. Torcy à Desgranges, 10 octobre 1696.