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grâce elle avait déjà conquis le cœur de la duchesse du Lude. « Je voudrais, lui avait-elle dit, que vous eussiez été dans un petit coin, quand maman m’a parlé de vous, pour entendre tout le bien qu’elle m’en a dit. » Ayant reçu un courrier de la Cour, elle la supplia de l’ouvrir avant elle, disant qu’« il n’était pas de la décence qu’une personne de son âge ouvrît des lettres sans les faire voir. Tout cela, ajoute le Mercure, se passa avec beaucoup de complimens et d’amitiés de part et d’autre. »

Après le dîner, le comte de Brionne distribua au nom du roi les présens qu’il avait apportés. La princesse de la Cisterna reçut un joyau de 31 628 livres ; le marquis de Dronero, une boîte de cinquante diamans du prix de 14 620 livres ; Mme Desnoyers, une table de brasselets de 11 105 livres, et le comte de Vernon une boîte de diamans de 8 719 livres. C’était du moins le prix coûtant des pierreries. « Mais, ajoutait Desgranges, en envoyant le mémoire à Torcy, vous pouvés bien croire qu’on ne leur donnera pas sur ce pied-là ; je saurai l’augmenter à ceux qui seront curieux de le savoir[1] ». Le reste de la suite de la princesse reçut des gratifications en argent. Tout le monde se trouva enchanté, soit de la magnificence des présens, soit de la libéralité du Roi, à l’exception d’un écuyer du duc de Savoie, un certain Maffeï, qui refusa l’argent, disant que sa dignité ne lui permettait pas d’en recevoir ; mais il donna à entendre qu’il aurait volontiers accepté une épée enrichie de diamans. L’incident était d’autant plus fâcheux que ce Maffeï était un des écuyers favoris du duc de Savoie, et qu’il avait été chargé par son maître, aussitôt que la princesse aurait franchi le Pont de Beauvoisin, de venir lui rendre compte de la réception. Il ne fallait pas qu’il partît mécontent. Malheureusement, il n’y avait point d’épée ainsi enrichie qui pût lui être offerte. Desgranges était en train de lui expliquer la chose lorsque survint Dangeau qui, mis au courant, offrit immédiatement, avec beaucoup de bonne grâce, celle qu’il portait au côté. Maffeï l’accepta avec empressement, et il en fut même si content qu’il la tint une heure en sa main dans le logis de la princesse, la faisant voir à tout le monde. Grâce à Dangeau cette tracasserie n’eut point de suite. Durant ce séjour au Pont de Beauvoisin et aussi pendant le reste du voyage, nous le voyons se multiplier, et par sa courtoisie, sa présence d’esprit, sa bonne grâce, prévenir les froissemens et les susceptibilités. Desgranges, auquel il rendait tant de services, et qui le savait ami particulier de Torcy, ne manquait pas d’en informer le ministre : « Pour

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 95. Mémoire des présens qui furent faits aux officiers de M. le duc de Savoye qui amenèrent Mme la duchesse de Bourgogne au Pont de Beauvoisin.