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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/810

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simplement : les littérateurs n’entendent pas grand’chose aux arts. Me pardonnera-t-on cette témérité ? Aussi bien, j’ai hâte de m’en expliquer : je sais tout ce que l’érudition des uns et l’ingénieuse pénétration des autres ont pu, à certaines époques, apporter de force et d’appui aux artistes, même leur ouvrir la voie, et préparer le terrain où allaient éclore les œuvres nouvelles. Aussi je ne conteste ni les droits réels, ni l’absolue liberté de la critique, mais son utilité finale au point de vue artiste. Je crains, en effet, qu’à force de mélanger et de confondre les idées, les écrivains n’aient rendu le plus mauvais service aux artistes en les éloignant de leur claire et simple besogne. Nous voudrions toujours qu’on sentit, qu’on vît notre émotion à travers notre métier, que l’on comprît notre âme dans notre œuvre, en deux mots qu’on ne jugeât nos idées, — les plus hautes et les plus intimes, — que dans la réalisation des formes ou sous le vêtement des couleurs et des sons. Inutile ambition ! Le public mesure notre talent à ses goûts, à ses sensations d’un jour, souvent au hasard du temps qu’il fait, d’un rendez-vous manqué ou satisfait, d’une bonne ou d’une mauvaise digestion. La critique est-elle plus équitable ? Là on nous juge d’après des théories ou des systèmes, quand ce n’est pas à la chance des camaraderies, et surtout, personne ne prend la peine de juger les œuvres indépendamment des hommes, ce qui serait pourtant de la plus simple équité. C’est peut-être à cause de cette insuffisance de pénétration que tant de jugemens nous font sourire, même quand ils nous flattent, et que tant de critiques nous blessent, même en croyant nous conseiller. Ne pas être compris, c’est le plus grand chagrin ou le plus grand châtiment. Et s’il y a des artistes qui se plaisent à se faire incompréhensibles, combien de juges qui ne peuvent pas, ou qui ne veulent pas comprendre !

Faut-il en dire les raisons ? Il était jadis élémentaire de commencer par apprendre avant de faire quelque chose, ou même d’en parler. Mais nous avons changé tout cela ! Des théories bizarres et d’étranges discussions ont récemment paru obscurcir cette vérité. Il la faut remettre bravement en pleine lumière, et prier ou forcer nos nouveaux juges et nos jeunes confrères à s’incliner bien profondément devant elle. C’est une besogne difficile, presque imprudente, et je n’ai pas assurément la prétention d’y réussir. A tout le moins, les artistes, même s’ils trouvent à combattre, en lisant ces essais, des opinions ou des hypothèses, reconnaîtront-ils certaines idées pour être de chez eux. Il n’est pas jusqu’au tour de langage où l’on ne se reconnaisse, quand on est du même métier. J’ai toujours été très frappé de la différence