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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/828

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contribué, en ce siècle, et en France, à cette déviation. Les artistes, et de très grands parfois, y ont leur part de responsabilité. Mais le public, dans son ensemble, est le grand coupable. Il est routinier avec joie, et peut-être, au fond, ignorant avec délices. Et l’on ne saurait pas plus le sortir de ses admirations toutes faites, que le déranger de ses banales habitudes. C’est grand dommage, car les artistes originaux sont toujours un peu des démolisseurs d’habitudes, quand ils ne sont pas des briseurs d’images. Et le monde tient à ses erreurs. Peut-être ces dernières années ont-elles vu — grâce à des rivalités dont on connaît l’histoire — une renaissance de bataille artistique qui est de bon augure. D’incontestables efforts ont été faits pour donner à chaque branche de l’art, même la plus obscure ou la plus oubliée, un peu plus de vie indépendante, et de belles tentatives pour les rajeunir toutes en leur rappelant à propos leurs origines, et la grandeur du plus humble métier. Et voici, en vérité, une nouvelle et vivifiante application du proverbe : « Il n’y a pas de sot métier ; il n’y a que de sottes gens ! » Quelle vanité de ne pas voir que la matière n’est ni vulgaire, ni belle, que seule la main de l’homme transforme et ennoblit. En deux mots, il n’y a pas de systèmes en art ; il n’y a que des individus. Il n’y a pas de castes en art, il n’y a que des degrés. De fait un pot d’étain peut être beau ; une statue équestre peut ne l’être pas. Et qu’est-ce donc, historiquement, que la Renaissance en Italie, par exemple, sinon l’œuvre de quelques hommes de génie, utilisant merveilleusement le hasard des premières découvertes de débris antiques, et cristallisant dans leurs œuvres un vague besoin populaire de réaction sensuelle, de revendication de la forme ?

Donc, on a relevé les arts dits industriels, et on a bien fait. On se décidera peut-être à unir de nouveau, dans un seul faisceau, et comme dans une seule présentation au public, ce qu’on avait stupidement divisé, désassocié, démembré depuis le commencement du siècle ; et on fera mieux encore. Mais qu’on y prenne garde ! C’est par en haut qu’il faut rajeunir l’arbre, non par en bas. A la besogne où l’on nous appelle tous, ouvriers et artistes, les mains sont bonnes, et nombreuses, et courageuses. C’est la tête qui manque. Je veux dire : les ouvriers ne font pas défaut, mais les artistes. C’est nous qu’il faut réformer ; c’est nous qu’il faut élever autrement. C’est nous qui devrons faire demain, sous peine d’immédiate décadence, de l’art appliqué et non plus de l’art en chambre ; de l’art fait non pas de souvenirs, mais d’émotion, non pas de théories, mais de rêve, non pas d’histoire, mais de vie ! L’avenir est là, là seulement, si cette renaissance tant espérée et un peu hâtivement proclamée doit se faire dans l’art de