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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/830

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plus assuré — qui sait pour combien de temps ? — comme l’autre encore demeure mystérieux, attirant et fort, désespérante énigme où se cache le problème le plus haut peut-être, puisque sa solution entraînerait en un sens celle du problème de l’âme ! Quel sera ce demain de l’esprit, auquel nous travaillons tous ? Après tant d’efforts, où allons-nous ? Après tant d’œuvres, que faisons-nous ? Ah ! la noble et féconde inquiétude fuite d’espérance, de regrets, et d’une infinie tendresse ! À cette question, que du moins chacun de nous se pose, en ce moment où la science a posé toutes les questions, — sans en résoudre assez, — et que le temps résoudra peut-être tout autrement que nous le pensons, il n’y pas, aujourd’hui plus qu’autrefois, de réponse absolue, définitive. Chacun y répond selon sa nature, toujours avec son sentiment personnel, son tempérament, mais aujourd’hui plus qu’autrefois peut-être avec je ne sais quelle commune inquiétude, et cette vague intuition qui ressemble à l’instinct de l’oiseau pressentant l’orage. C’est en cela surtout que la parole de Pascal est si vraie : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas ! » J’ai grand’peur que l’art ne vieillisse avec la joie, avec l’amour, avec la foi. Ce n’est pas, sans doute, pour l’heure prochaine. Mais on sent venir le soir. La lumière, vainement, est plus douce, plus dorée, plus chargée de senteurs et de murmures ; elle s’éteindra ; et les fleurs d’âme se fermeront dans la nuit.

Les groupes d’idées qui font les civilisations, les religions, les philosophies, et, partant, les arts, doivent avoir, comme les groupemens d’hommes qui font les nations, une vie propre, soumise à la loi de toute existence particulière, qui les fait ressembler à l’individu isolé, et comme lui, naître, croître et décroître, et mourir. L’humanité, dans son ensemble, aura, en fin de compte, ressemblé au prototype, à l’homme, lorsque, après être née à une vie collective, comme il est né à une vie personnelle, elle aura grandi, progressé, puis vieilli, et s’éteindra après avoir épuisé sa raison d’être. Je crois que le monde des idées est régi par la même force, et subit la même destinée. Je crois que, dans l’ordre de croissance de l’esprit, l’état de conscience succédera à l’état de croyance, c’est-à-dire le savoir à l’instinct, ou encore la science à la foi. Et je crois, par conséquent, que, sous toutes ses formes, l’art, qui n’est qu’un acte de foi perpétuel, sera remplacé un jour par la science qui, sous tous les aspects qu’on puisse supposer, ne saurait être qu’un acte de raison progressif. Encore est-ce s’exprimer avec une certaine impropriété de termes que de dire que l’art sera « remplacé » par une autre forme de l’esprit humain ; il en sera suivi, comme l’aurore est suivie du jour. La virilité d’un homme ne supprime pas son enfance ; elle en est l’éclosion,