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l’histoire d’une de ses anciennes maîtresses, dont il a eu plusieurs enfans.

Elle prend donc la résolution d’être franche avec lui, de lui avouer sa faute avec toutes ses conséquences, mais de réclamer pour elle la même indulgence, le même oubli du passé qu’elle consent à lui accorder. Mais aux premiers mots qu’elle prononce sur ce sujet, le prétendant l’arrête, lui ferme la bouche : son passé ne la regarde pas, c’est un livre qui doit rester fermé pour elle. Tout ce qu’elle a le droit d’exiger, c’est la fidélité dans le mariage ; à cet égard, il compte tenir strictement ses engagemens. Mais alors, quel droit a-t-il de connaître son passé à elle ? Pourquoi ce livre-là devrait-il lui être ouvert ? Duperie pour duperie ou réserve pour réserve, elle a tous les droits de taire son secret comme il tait le sien. Elle lui promet solennellement une fidélité dans le mariage égale à la sienne : là commencera la communauté. Pour ce qui est du passé, chacun gardera le sien : ce passé n’entrera pas dans leur nouvelle vie ; il n’a rien de commun avec le pacte qu’ils vont conclure pour l’avenir.

Sauf cette admission en principe de l’égalité des droits entre les sexes, M. de Geijerstam raille assez sévèrement les prétentions de la femme Scandinave à ce sujet, qui, dit-il, font naître une hypocrisie spéciale chez l’homme, augmentent la mésintelligence entre les sexes, et ajoutent aux difficultés du mariage. Après avoir montré les sévérités hypocrites des pères, les pruderies ridicules des mères, les exigences impossibles des filles et les sentimentalités rétrospectives des épouses, il établit qu’il en résulte une sorte de duperie générale et une véritable tyrannie.

Dans ses Récits du Juge de paix, il a réuni quatre petits contes d’un vif intérêt, fondés sur des faits réels dont il a recueilli tous les détails de la bouche d’un magistrat de ses amis. Ces faits se sont passés sur l’île d’Œland, parmi la population rustique qui vit isolée sur cette île, et que les glaces séparent du continent une bonne partie de l’année. L’intérêt de ces nouvelles se trouve ainsi, d’abord, dans l’authenticité des faits racontés ; mais il consiste aussi dans l’étude psychologique des caractères que l’auteur y a présentés. Ce ne sont pas de simples récits de crimes, comme semblerait l’indiquer l’intervention du juge de paix. Il y a crime ou délit, sans doute, dans chacune de ces histoires, et c’est par-là qu’elles sont arrivées à la connaissance de la justice ; mais dans le récit qu’en fait M. de Geijerstam, elles deviennent de vraies peintures de mœurs. Il semble que l’auteur suédois ait emprunté à Mérimée son art d’analyser, de mettre en scène avec tant de vie