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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/889

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l’opprimer, si la Providence ne l’arrête pas au moyen du suffrage des hommes libres. »

Le sénateur Tillman, de la Caroline du Sud, qualifiait l’autre jour dans une réunion publique le président Cleveland d’instrument de Wall street, c’est-à-dire des banquiers de New-York, et apostrophait ses auditeurs en ces termes :


Votre politique a consisté à changer de maître, ce que vous faites en expulsant une bande de voleurs et en en installant une autre à sa place. Vous êtes hypnotisés par le chant de sirène des journaux vendus… Toutes ces punaises d’or (goldbugs) sont foncièrement hypocrites et menteuses… En 1893, le Congrès a démonétisé l’argent et établi l’étalon d’or, grâce aux machineries et canailleries de John Sherman et autres coquins… Les trusts et monopoles nous tuent. Votre procureur général a, de par la loi, le pouvoir de les étrangler tous, mais il ne peut le faire. La corruption est partout : corruption dans les tribunaux sans exception, jusque dans la Cour suprême ; — corruption au Congrès ; — et, ce qui est pis que tout, la présidence vient d’être mise aux enchères à Saint-Louis, Hanna a commencé par acheter le vote des nègres en faveur de Mac-Kinley ; puis Platt les a achetés une seconde fois pour leur faire adopter sa plateforme en faveur de l’or. John Sherman, le grand prêtre de Mammon, est, avec Mark Hanna, le copropriétaire de Mac-Kinley… Et maintenant, amis, voilà assez longtemps que nos chefs nous vendent. Le temps est venu de nous insurger. Il nous faut une nouvelle déclaration d’indépendance : l’Amérique aux Américains, et l’Angleterre aux Enfers !


Il n’est aucune des passions de la démagogie auxquelles il ne soit fait appel dans cette campagne. Les faits sont dénaturés ; les accusations les plus extravagantes proférées sans preuve à l’appui ; on s’adresse aux pires instincts des foules. Si la démocratie américaine résiste à de pareils assauts, elle aura donné une admirable preuve de sagesse et de possession d’elle-même.


II

La division politique des États-Unis est malaisée à définir, parce qu’elle ne correspond à rien de précis ; elle ne ressemble pas à la nôtre, personne ne songeant à demander un changement dans la forme du gouvernement. Les deux grands partis en présence sont le parti républicain et le parti démocrate ; à côté d’eux le parti populiste a recruté des adhérens dans certains États du sud et de l’ouest : on pouvait néanmoins jusque dans les derniers temps le traiter de quantité négligeable. Les ouvriers ont aussi des organisations spéciales : mais elles n’empêchent pas ceux qui en font partie d’appartenir à un autre groupe politique. Le parti républicain se glorifie d’avoir mené la guerre de sécession et d’avoir rétabli l’unité nationale ; le parti démocrate n’a plus que le nom de commun avec les confédérés de 1861, qui pendant