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III

C’est à Kœnigsberg, au début de sa carrière, en 1851, que Helmholtz fit sa première grande invention : celle de l’ophtalmoscope. Professeur à l’Université, il voulait exposer à ses élèves la théorie formulée par Brücke sur la lueur oculaire, c’est-à-dire sur la lumière que la surface de la rétine réfléchit dans l’espace. Il se demanda, — question que Brücke n’avait pas eu occasion de se poser, — à quelle catégorie d’images optiques appartenaient les rayons renvoyés par le fond de l’œil, et, après avoir résolu mathématiquement le problème, il chercha les moyens d’exposer cette solution à son auditoire. Pour donner, par un exemple usuel, une idée des difficultés de la question, supposons qu’il s’agisse de regarder le fond d’une clef creuse. Pour que ce fond soit visible, il faut qu’il soit éclairé ; d’autre part, l’œil devant, pour voir, se placer sur le trajet des rayons, barre le passage à la source lumineuse. Helmholtz eut l’idée, simple mais géniale, d’éclairer le fond de la clef, ou plutôt la rétine, par une lumière réfléchie sur un miroir percé d’un trou à son centre ; les rayons réfléchis éclairent la rétine, et l’œil la regarde à travers le trou. Il se heurta d’abord à quelques difficultés d’exécution, mais, sur de sa théorie, il ne se laissa pas rebuter, et après huit jours de tâtonnemens, il eut la joie inexprimable d’être le premier parmi les hommes à contempler une rétine vivante éclairée.

Le retentissement de cette découverte fut immense, et, de ce jour, le jeune physicien fut classé parmi les plus grands. L’ophtalmoscope rendit, d’ailleurs, les plus éminens services à la médecine des yeux. Il devint possible de réaliser en oculistique le rêve, vainement poursuivi dans les autres branches de la thérapeutique, et qui consiste à suivre la marche des maladies sur le vivant, à se rendre compte des lésions diverses, à en tracer pour ainsi dire la carte exacte. Par un sentiment quelque peu étrange, quoique bien humain au fond, Helmholtz faisait, de l’invention de l’ophtalmoscope, beaucoup moins de casque ses contemporains. Il prétendait que tout physicien, venant à s’occuper de la physiologie de l’œil, devait nécessairement inventer ce précieux appareil. Il affirmait que Brücke en avait passé tout près, à l’épaisseur d’un cheveu ; et quand, en 1886, la Société ophtalmologique lui décerna la grande médaille Græfe, en rappelant surtout les immenses services rendus à la science par l’ophtalmoscope, il ne put se défendre d’une certaine impatience. « Supposez, dit-il dans sa réponse aux discours qui venaient de lui être adressés, supposez qu’un ouvrier obscur ait inventé, au temps de Périclès, des