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Il y avait à Alger six bagnes, dont trois étaient pourvus de chapelle.

Puis on les triait sur le volet. Les plus vieux, les débiles ou les infirmes étaient les moins malheureux, car on les occupait soit à garder le bétail aux champs, soit à crépir la maison, à nettoyer les latrines ou à aller vendre de l’eau et des fruits par la ville. Il y avait d’ailleurs quelques bons maîtres, mais c’était le petit nombre. Quant aux captifs les plus vigoureux, on leur faisait labourer la terre, transporter et scier les pierres de taille, et surtout ramer sur les galères. On sait par les mémoires de Jean Marteilhe ce que les galériens avaient à souffrir sur les galères du roi de France ; cela ne donne qu’une faible idée du sort des captifs enchaînés sur les galères des Turcs d’Algérie.

Et ces traitemens n’étaient rien à côté des souffrances morales qu’on leur infligeait. Après chaque capture d’un équipage européen, les Turcs triaient les plus jeunes et les plus adroits et, les amadouant par des promesses séduisantes, s’efforçaient de les convertir à la religion de Mahomet. Quelques patrons allèrent jusqu’à offrir la main de leur fille, avec la liberté, à un captif, s’il consentait à abjurer. Pour l’ordinaire, on menait ces jeunes gens à la taverne, on les faisait boire avec excès, et on profitait de leur ivresse pour les affubler d’un turban et leur faire prononcer la moindre parole ou donner le moindre signe d’adhésion à l’islamisme. S’ils cédaient, on adoucissait aussitôt leur sort et on leur confiait des emplois d’écrivains ou de comptables. Mais en cas de résistance, ou bien si, une fois dégrisés, ils rétractaient leur abjuration, on les livrait aux tortures les plus cruelles. Témoin ce mousse de Saint-Tropez, dont le Père Dan nous a conservé l’histoire (1633). Guillaume Sauvéir n’avait que 15 ans : après avoir essayé en vain toutes les séductions pour le convertir à l’islam, les Turcs le suspendirent par les pieds et lui administrèrent la bastonnade, en le sommant d’abjurer. Comme il s’y refusait, on lui arracha les ongles des orteils et on lui coula de la cire fondue sur la plante des pieds sans pouvoir vaincre la résistance du jeune martyr.

Quant aux esclaves employés sur les galères ou dans les maceries, ils étaient privés de tout secours spirituel. Tous n’étant pas des héros, comme Sauvéir, un bon tiers reniait le christianisme pour obtenir un adoucissement à leurs maux ; les autres, — c’était le plus grand nombre, — le déshonoraient par leur inconduite. Le restant, poussé à bout par l’excès de la souffrance, essayait d’échapper à cet enfer par le suicide ou par l’évasion. Mais malheur au fugitif qu’on rattrapait ! Le Père Dan n’a pas relevé moins