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protection. Les Lazaristes, à leur tour, n’avaient fait que continuer, en la complétant, l’œuvre de la rédemption des esclaves commencée au XIIIe siècle par les Mathurins et les Pères de la Mercy. — Nous avons vu pourquoi, dès la deuxième moitié du XVe siècle, s’était aggravée la situation des chrétiens captifs en Barbarie ; on a dit à quels travaux de galériens, à quelles privations ils étaient soumis et quelles tentatives furent faites pour abolir ce foyer de piraterie et d’esclavage. Mais l’emploi intermittent de la force militaire par les puissances de l’Europe fui plus nuisible qu’utile aux esclaves : le réel secours leur vint des ordres religieux. Ce sont ces hommes de foi et d’abnégation qui en ont rapatrié des centaines de mille et qui, pour ceux qui restaient à la chaîne, ont fondé des chapelles pour les consoler, des hôpitaux afin qu’une fois invalides ils ne fussent pas jetés à la voirie, et des cimetières pour qu’après leur mort leurs amis pussent venir prier sur leur tombe[1]. Et qui dira combien d’enfans et de jeunes filles ils ont préservés des hontes de l’apostasie ou du harem ; combien de mères ils ont consolées par le retour d’un époux ou d’un fils ; à combien d’orphelins ils ont rendu leur père, qu’on croyait mort depuis de longues années !

Voilà ce qu’ils ont fait, pour les familles et pour l’humanité ; c’est peu de chose auprès des services rendus par eux à l’Eglise et à la patrie. On reconnaît un arbre à ses fruits ; nulle part cette parole du Christ n’a trouvé plus éclatante confirmation que dans l’œuvre des rédempteurs d’esclaves. Le résultat de toutes les armadas de l’Espagne, de tous les bombardemens de nos amiraux, n’égale pas l’effet moral produit par le ministère de consolation, de paix, d’abnégation, allant jusqu’au sacrifice de la liberté ou de la vie, exercé par les humbles fils de saint Jean de Matha, de saint Pierre de Nolasque et de saint Vincent de Paul.

Mieux que par le fracas de l’artillerie, mieux même que par des foudres d’éloquence, ils ont fait bénir le nom de leur divin Maître par leur vertu sans tache et par leur charité sans borne ; témoin cette réponse d’un hôtelier musulman de Bizerte à qui le Père Guérin voulait payer ses frais de séjour, pendant le temps qu’il avait passé à nourrir 200 galériens, et qui les refusa en disant : « Prêtre ! va en paix, la charité que tu exerces envers les autres mérite bien qu’on l’exerce envers toi ! » Aussi est-ce avec raison que l’Église catholique romaine a mis au nombre des saints les fondateurs de ces trois associations : les noms des

  1. Le premier cimetière d’Alger fut fondé par un capucin espagnol, ancien confesseur de don Juan d’Autriche qui, comme saint Vincent, avait été captif en Barbarie. Il était situé au N.-O. d’Alger, près du chemin de Bab-el-Oued.