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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/954

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Il aurait peut-être trouvé assez difficilement à les faire parvenir à qui de droit, si les consuls des puissances à la Canée ne s’étaient pas chargés de les transmettre. On ne saurait trop reconnaître les services qu’a rendus, dans toute cette affaire, le corps consulaire européen. Il a véritablement servi de tampon entre les insurgés et les représentai, militaires ou civils, du gouvernement ottoman. Il a donné aux uns et aux autres des conseils toujours sages, qui n’ont malheureusement pas été toujours suivis, mais qui l’ont été quelquefois, et c’est à lui qu’on doit d’avoir empêché le conflit, quelque grave qu’il ait été et qu’il soit encore, d’être devenu dès le premier moment irréductible. Les insurgés, mis en demeure de faire connaître leurs revendications, ont demandé la nomination d’un gouverneur chrétien, la réunion de l’Assemblée générale, la remise en vigueur du pacte d’Halepa, enfin une amnistie générale. Ces quatre points constituaient alors tout leur programme : il semblait que, dès le jour où on les leur aurait accordés, tout serait fini. La Grèce qui, dès le premier moment, avait pris en main officieusement la cause des chrétiens crétois, agissait auprès des puissances pour obtenir leur concours à Constantinople, en vue d’amener la Porte à consentir aux quatre points. L’Europe, sans se faire illusion sur les difficultés de sa tâche, n’a pas hésité à l’entreprendre, et ses ambassadeurs ont reçu des instructions en conséquence. En dehors des considérations politiques qui devaient déterminer l’attitude des puissances, l’humanité leur conseillait d’agir avec promptitude et énergie. Le sang coulait à flots sur divers points de la Crète. Le gouverneur de l’île, qui était à la fois le commandant en chef de toutes les forces militaires, Abdullah-Pacha, se montrait inflexible dans la répression ; mais sa vigueur se dépensait en pure perte. On rejetait sur sa tête l’odieux de tout le sang répandu inutilement. Chaque jour apportait la nouvelle de massacres nouveaux. Tantôt, suivant le hasard des rencontres à travers la campagne ou des surprises qui mettaient une ville à la merci d’une bande armée, c’étaient les musulmans qui massacraient les chrétiens, et tantôt les chrétiens qui massacraient les musulmans. En même temps, on apprenait que l’Arménie, si cruellement éprouvée quelques mois auparavant, retrouvait encore des forces pour des insurrections nouvelles. Le mal gagnait le Hauran, où les Druses attaquaient les garnisons turques. Il était temps d’aviser : les puissances l’ont compris et l’ont fait comprendre au sultan.

Celui-ci a cédé sur toute la ligne : il a accordé les quatre points. Le retour à la convention d’Halepa allait en quelque sorte de soi : la Porte avait commis une faute grave en n’exécutant pas cette convention avec fidélité. La convention d’Halepa, — Halepa est un faubourg de la Canée, — porte la date de 1878. Elle a été conclue par