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en nombre à celles du rouge ou supérieures en nombre à celles du violet (radiations chimiques, électriques, etc.), nos sens ne nous fournissent aucun renseignement, mais nous étendons et complétons en quelque sorte leur action par les appareils de mesure de la physique : thermomètres, galvanomètres, plaques photographiques, résonateurs électriques de Hertz, etc. Ce que nous appelons la sensation, c’est donc la révélation sous une forme quelconque du rythme des vibrations dont l’onde vient produire sur nos organes l’impression. Je dis sous une forme quelconque parce que l’immense majorité des hommes ignorant, par exemple, que la lumière est produite par des vibrations, ne peut songer à en mesurer le nombre, mais elle distingue le rouge, le vert, le violet, et cela suffit pour le but pratique de la vie. De même, il est bien peu de gens encore qui se doutent qu’en distinguant un la, d’un ut, ils font sans le savoir la différence entre 870 et 1 044 vibrations de l’air. Mais ils ont la sensation de la différence des deux rythmes, et c’est là l’essentiel.

Bien que la cause extérieure, — la vibration, — reste la même en substance, chacun de nos sens est muni d’appareils spéciaux adaptés uniquement à l’analyse de certains rythmes, et qui, aux autres rythmes, ne répondent rien. Qu’on pique, qu’on coupe, qu’on brûle la rétine ou les nerfs de l’oreille interne, ils ne donneront jamais la première que des sensations lumineuses, les seconds que des sensations auditives. Cette propriété a reçu de M. Muller le nom d’énergie spécifique. C’est ainsi que, suivant les appareils terminaux auxquels il aboutit, un même courant électrique peut allumer une lampe, ébranler une sonnerie, écrire un télégramme, faire parler un téléphone, etc.

Helmholtz a étudié avec le plus grand soin et la plus grande sagacité les différentes catégories de sensations visuelles, mais c’est peut-être dans la théorie des couleurs qu’il a fait preuve de la plus grande originalité. Reprenant une théorie oubliée de Th. Young, il admet qu’à chaque élément rétinien se rattachent trois fibres nerveuses particulièrement sensibles, la première aux vibrations du rouge, la seconde à celles du vert, la troisième à celles du violet, bien que chacune d’elles soit influençable par toutes les radiations lumineuses. C’est de la combinaison des vibrations de ces trois fibres que naît en nous la sensation d’une couleur déterminée. La sensation du bleu, par exemple, correspondrait à une excitation modérée des fibres du vert et du violet combinée à une excitation faible du rouge, et ainsi des autres. A une excitation à peu près égale des trois fibres correspondrait la sensation du blanc ou des couleurs blanchâtres. Cette théorie explique la plupart des faits connus. Si les diverses excitations