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quelquefois si somptueux en Afrique. Il y en a plusieurs à Dougga ; l’un d’eux, que les indigènes appellent encore aujourd’hui Bab Roumia, est assez bien conservé. Quoiqu’il ait perdu son couronnement et soit enterré de près de 3 mètres, il a encore une belle apparence et devait donner aux étrangers une idée avantageuse de la ville dans laquelle ils entraient.

Une fois qu’on avait pénétré dans une ville romaine par la porte triomphale et qu’on en parcourait les rues, ce qu’on avait le plus de chance de rencontrer, c’étaient les temples. Ils étaient aussi nombreux dans les cités antiques que les églises et les chapelles dans les villes italiennes et espagnoles. Dougga devait en avoir plusieurs, et l’un d’entre eux est peut-être l’édifice le plus élégant de l’Afrique. On pourrait presque soutenir qu’il ne lui messied pas d’être en ruines, et il produisait peut-être moins d’effet quand il était complet qu’aujourd’hui que les murailles latérales en sont renversées et que les quatre colonnes corinthiennes qui portent le fronton se détachent librement dans le ciel. Quand on les aperçoit de loin, baignées de lumière de tous les côtés et couronnant la colline comme un diadème, on est saisi de la beauté du spectacle. Mais l’admiration augmente quand on approche. Ce n’est pas un de ces monumens comme il y en a tant en Afrique, dont les détails sont grossièrement traités et qui ne doivent être vus qu’à distance. Celui-ci, au contraire, est remarquable par l’élégance des proportions et la délicatesse du travail. Dans l’intérieur, la cella n’existe plus, mais, on ne sait comment, la porte est restée ; elle est formée de deux montans de 7 mètres de haut surmontés d’un linteau de 6m, 50, trois pierres d’un seul bloc, qui se tiennent debout par un miracle d’équilibre. L’inscription nous apprend que ce beau temple a été bâti sous Marc-Aurèle et consacré à Jupiter, à Junon et à Minerve. C’était donc le Capitole de Dougga. Dans la plupart des municipes de l’empire, on aimait à construire un Capitole, c’est-à-dire un temple en l’honneur des trois divinités qu’on honorait ensemble sur la colline sacrée. C’était comme un hommage que ses sujets dévoués tenaient à rendre à la ville maîtresse, et une façon de se rattacher solennellement aux grandes divinités auxquelles on attribuait la fortune de Rome.

Mais, tout en honorant les dieux romains, les gens de Dougga n’oubliaient pas ceux de leur pays. Parmi les temples qu’on y a trouvés, il y en a un à la Déesse Céleste, la grande divinité de Carthage, et un autre à Saturne, qui présente cette circonstance curieuse qu’il était bâti sur l’emplacement d’un ancien sanctuaire de Baal. Les deux divinités se sont donc succédé l’une à l’autre,