Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est naturel que personne n’ait songé à nous dire ce qu’étaient les courses de chevaux et de chars à Dougga : qui s’occupait de Dougga à ce moment ? Mais les choses devaient s’y passer en petit comme à Rome, et si nous voulons avoir une idée des fêtes auxquelles on assistait dans notre hippodrome, il suffit de se mettre devant les yeux celles qui se donnaient dans le grand cirque. Rien n’est plus facile ; il en est parlé un peu partout, mais nulle part peut-être d’une manière aussi intéressante et aussi vivante que dans une élégie qui fait partie des Amours d’Ovide. Voici comment la poésie légère a été amenée à s’occuper des jeux du cirque. C’étaient les seuls, à Rome, où les femmes n’étaient pas reléguées à une place spéciale et se mêlaient librement aux hommes ; et peut-être est-ce une des raisons de leur succès. Les femmes se montraient rarement en public ; dans les temples, sous les portiques, on ne les voyait qu’un moment ; au cirque, on pouvait passer de longues heures auprès d’elles ; les gens qui, comme Ovide, étaient en quête de bonnes fortunes, ne négligeaient pas une occasion si favorable. Il nous raconte qu’il n’a aucune passion pour les chevaux de noble race, mais que, voulant trouver le moyen de s’entretenir avec une jolie femme qu’il a remarquée, il l’a suivie au cirque. — Elle va regarder les jeux ; lui, la regardera ; de cette manière tous les deux jouiront de leur spectacle préféré[1]. — Il s’assied donc près d’elle, aussi près que possible ; et comme d’abord elle fait mine de s’éloigner, il lui fait observer qu’elle n’ira pas bien loin. Pour éviter les contestations, chaque place est marquée par une ligne tracée sur la pierre ; on ne peut pas la dépasser. À ce propos, il s’occupe des voisins ; il les surveille, il les prie de ne pas gêner la dame qu’il protège. Il veut qu’elle soit à son aise : sa robe est (un peu traînante, il s’empresse de la relever, ce qui lui donne l’occasion d’entrevoir un pied charmant,


Et, quand on voit le pied, la jambe se devine[2].


Le petit banc n’est pas encore en usage, mais Ovide fait remarquer à sa voisine qu’on a ménagé le long du gradin inférieur un rebord qui lui permet d’appuyer le bout de son pied. Il s’aperçoit qu’elle a chaud : le velum tendu au sommet de l’hippodrome ne défend qu’imparfaitement du soleil ; mais précisément il tient à la main le programme de la course, qu’on lui a sans doute remis à la porte, et il s’en sert pour l’éventer. Tout d’un coup le silence

  1. Tu ludos spectas, ego te ; spectemus uterque
    Quod juvat.
  2. Suspicor ex istis et cetera posse placere.