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s’attendre à produire grand’chose en nous envoyant des listes de prix et des circulaires en anglais ; cela doit coûter très cher en impression et Irais de poste, et c’est de l’argent perdu ; les acheteurs russes ne les apprécient pas du tout. »

Arrive le commis voyageur allemand. Il prend toute la peine pour lui. Il baragouine les langues les plus bizarres, adopte sans hésiter les poids et mesures du pays, la monnaie du pays ; le pays n’aurait ni monnaie, ni poids, ni mesures, qu’il adopterait tout de même son système. On le rencontre partout, dans les endroits les plus extraordinaires, les plus ignorés des fiers agens « de la première nation du monde ». Il ne méprise ni les petites bourses, ni les petits bénéfices. Il est insinuant, et toujours si modeste ! si empressé à entrer dans les idées de chacun, fût-ce d’un enfant ! Les petites filles n’ont pas besoin de lui dire deux fois qu’elles veulent des poupées « qu’on puisse débarbouiller ». Il en rapportera à son prochain voyage, et elles détrôneront jusque dans la nursery anglaise la poupée nationale, qui déteint, et qui fond, à horreur !

Ce n’est pas le négociant allemand qui dédaignerait de donner ses soins à l’emballage de ses marchandises. Aussi arrivent-elles en parfait étal, au rebours des marchandises anglaises, emballées avec une indifférence olympienne pour la casse ou le « défraîchi ». Le client réclame ? Il ose réclamer ? « Nos émissaires commerciaux, écrit M. Williams, sont tous chargés du même message : — C’est à prendre ou à laisser. » On laisse, et « l’invincible Allemand » ramasse la commande.

Tant de choses dans la modestie ? Assurément. Elle ne suffirait pourtant pas à elle toute seule, étant essentiellement une vertu négative. L’Allemand ne serait point « parti à la conquête du monde industriel » s’il ne possédait aussi une volonté patiente et tenace, et une idée, une seule, dont se sont souvent moquées les autres nations, à commencer par nous, qui l’a fait traiter de rêveur ou de pédant, et qui s’est trouvée en définitive la bonne. Son idée, aussi contraire que possible à l’opinion courante en Angleterre, c’est que tout peut s’apprendre et gagne à s’apprendre dans les livres, même la manière de tisser la toile ou de creuser un puits de mine, à condition que le livre ait continuellement la pratique pour vivant commentaire. Il veut que les exercices pratiques soient imprégnés de théorie. Il leur donne un substratum de notions scientifiques aussi large et aussi solide que le permettent le degré d’intelligence et de culture des élèves. En un mot, il instruit l’apprenti avant de le dresser.

M. Williams ne s’est pas dissimulé la difficulté de faire