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moins éloignée, à quelques kilomètres seulement d’une station de chemin de fer. Une route passable mène de la gare à l’habitation du régisseur, une maison légèrement bâtie, entourée de vérandas, comme il convient dans les pays chauds. A l’intérieur on pourrait se croire chez un gentleman-farmer d’Angleterre ; seule, la vue par la fenêtre des eucalyptus qui en ombragent les abords rappelle qu’on est aux antipodes. Près de là sont les logemens, assez confortables, eux aussi, du personnel qui, pour cet énorme troupeau, ne comprend que 60 hommes. Encore, me dit-on, est-ce la propriété d’une compagnie, qui ne regarde pas à la dépense : un particulier se chargerait de diriger ce domaine en n’employant qu’une vingtaine de personnes. Autrefois il aurait fallu un très grand nombre de bergers. Mais, aujourd’hui, on a supprimé ceux-ci : des barrières de fil de fer divisent tout le terrain en de nombreux paddocks, dans lesquels les moutons sont enfermés ; le rôle des employés se borne presque à faire des rondes pour s’assurer qu’on ne vole pas les animaux, et que les barrières sont en bon état. On a pu ainsi mieux aménager le terrain, et laisser reposer régulièrement certaines parties de la propriété.

Il faut, certes, un tempérament bien trempé pour diriger des exploitations de ce genre et vivre presque constamment loin de toutes les distractions de la vie civilisée, surtout dans l’extrême ouest de la Nouvelle-Galles ou du Queensland, où nombre de domaines sont à plus de 100 kilomètres de toute ville. Aussi la plupart des squatters avaient-ils pris l’habitude de ne rester que la moitié de l’année sur leurs terres et de venir passer l’autre à Sydney ou à Melbourne ; au moins s’y rendaient-ils tous, lors de la grande saison des courses, — le divertissement favori des Australiens, — en octobre et novembre, aussitôt après la tonte des moutons, et y menaient-ils grand train ; quelques-uns ne paraissaient que fort rarement sur leurs « stations » et passaient une grande partie de l’année à voyager en Europe. Des régisseurs, hommes de métier, s’occupaient pendant leur absence de leurs troupeaux. La production de la laine a été longtemps la source de bénéfices extraordinaires, et les bonnes terres de pâtures ont été parfois l’objet de spéculations aussi grandes que les terrains des villes. Avant la découverte des mines d’or, il y avait eu à Victoria un premier boom accompagné d’une grande immigration des habitans des colonies voisines, et déterminé par l’excellence des pâturages de ce qu’on nommait alors le district de Port-Philip. Mais depuis la crise de 1893, qui a durement éprouvé beaucoup de squatters imprudens, et la baisse des prix, tombés de 10 pence (1 fr. 05) en 1890, à 8 pence (0 fr. 85) en 1893, pour la laine de mérinos de la