de la masse : cette masse elle-même se répartit en deux groupes, dont les uns, docilement pieux, suivent le pasteur tel qu’il est, et dont les autres, indifférens, le négligent quel qu’il soit.
Tièdes ou dévots, pourtant, il est un cas où presque tous deviennent attentifs et volontiers susceptibles : c’est lorsque des doutes s’élèvent sur la loyauté du pasteur. De ses rapports avec les autorités de l’Église, de son orthodoxie, de sa foi en un mot, on s’inquiéterait assez peu ; mais ce qu’on épie, ce sont ses rapports avec sa conscience, sa sincérité, sa bonne foi, bref son état d’âme ; et parmi le branle-bas des négations théologiques, l’âme d’un pasteur est parfois fort oscillante, et parla même endolorie. Au contact de ses manuels, au pied des chaires universitaires, il a appris à critiquer le dogme ; on a mis à nu, sous ses yeux, ce que l’Écriture et le symbole renfermaient d’erreurs ou d’interpolations humaines ; et ces détails se sont gravés dans sa mémoire, avant que les vérités divines, exprimées en ces documens sacrés, n’aient mis leur empreinte dans son cœur. Par surcroît, les grands faits de l’histoire évangélique sont pour lui comme une écorce, que la hache de la critique a fait tomber. On lui assigne une paroisse ; il y doit prêcher ce dogme, expliquer ces grands faits, les célébrer même ; car précisément les fêtes de la communauté, Noël, Pâques, l’Ascension, la Pentecôte, en ramènent l’anniversaire. Pour être fidèle, tout ensemble, à ses professeurs d’hier et à sa profession d’aujourd’hui, comment s’y prendra-t-il ? Il n’y a qu’un recours : c’est l’équivoque.
S’indigner est facile ; mais l’équivoque, ici, loin de trahir une lâcheté, traduit une nécessité ; et si la cohésion de l’Église protestante requiert, comme une condition sine qua non, l’emploi de ce procédé, pourquoi l’impuissante orthodoxie dénonce-t-elle si durement ceux qui s’en servent ? De ces accommodemens avec le ciel, commandés par l’intérêt même du ciel, l’histoire de la Réforme est d’ailleurs toute pleine. Le théologien Bahrdt, un triste personnage au demeurant, disait au XVIIIe siècle : « On n’a qu’à prononcer le nom de Jésus bien fréquemment, pour persuadera la grande masse que l’on enseigne le vrai christianisme… » Son contemporain Semler, homme de science et de foi, professait une religion subjective ; « mais de peur que l’institution si utile de la communauté chrétienne ne fût ébranlée, il consentait à s’accommoder, si ce n’est aux idées, du moins aux termes conventionnels, et à s’associer au culte de la communauté, alors même qu’il ne partageait plus les convictions qu’il était chargé d’exprimer. » C’est M. Lichtenberger, en son instructive Histoire des idées religieuses en Allemagne, qui rend à Semler cet hommage.