ni l’amener à penser comme nous, ni modifier sa conception de la vie et les modes de vie que cette conception implique, quelle solution pratique et logique s’imposait au début de l’œuvre de colonisation, si ce n’est la tolérance et la juxtaposition des races ? On n’a donc pas fait fausse route. Et je me reportais en pensée à l’entrevue que j’avais eue, l’année précédente, avec Areski et Abdoun, deux chefs de bandits kabyles, condamnés à mort et attendant leur exécution. Résignés à leur sort, ils me disaient que, jugés et condamnés par les Roumis, comme ils nous désignent, ils n’en voulaient pas aux Roumis ; que ce qu’ils avaient fait devait être fait, puisqu’il avait été fait, et qu’Allah choisit ses instrumens où il lui plaît. Doux oreiller, semble-t-il, le fatalisme, à l’heure suprême, théorie simpliste et commode, qui explique tout et absout tout, mais aussi théorie qui pourrait aboutir à des conséquences inattendues te jour où l’Arabe verrait, dans notre suprématie définitivement acquise et incontestée, un décret sans appel d’Allah, lui enjoignant de se soumettre, et d’accepter un ordre de choses de toute éternité prévu par lui ; ce jour-là, toute résistance cesserait devant le fait qui, de par la logique fataliste de l’Islam, amènerait l’Islam à désarmer et justifierait du même coup, et d’une manière éclatante, les procédés humanitaires de la France.
« Oran, murmurait le chef marocain Mohammed, Oran est une vipère tapie sous son rocher ; malheur à qui l’éveille ! » Il laissait sous les murs et dans les ravins de la ville qu’il avait tenté de surprendre l’élite de son armée, ses meilleurs lieutenans, et suivi d’une faible escorte, il lançait à Oran une dernière imprécation, reprenant en fugitif la route d’Oudjda et de la frontière du Maroc. Sur cette sèche et dure terre qui rappelle la terre d’Espagne, l’Espagne a laissé son empreinte ; les Espagnols y sont nombreux, plus nombreux que les Français. Ce port étroit est le plus commerçant de l’Algérie ; des pyramides de barriques de vins et des sacs de céréales encombrent les quais ; les gens qui se croisent dans les rues n’échangent que des chiffres : chiffres d’offres et de demandes, d’achat et de vente, cours des vins et des moutons, des blés et des huiles. Rien ici qui évêque le souvenir d’Alger, sauf un coin de boulevard : le boulevard Seguin, bordé de boutiques élégantes et de cafés où se réunissent, l’après-midi, les affaires terminées, les négocians de loisir et les voyageurs de passage. Cette ville est espagnole, française, arabe et nègre. Elle est surtout un port de commerce, le port occidental de l’Algérie. Elle prospère et s’étend, concentrant les produits des plaines du Chélif et de la Mina, les céréales d’Orléansville, les