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IV

Cependant, le séjour du Tsar touchait à son terme. Il était nécessaire que la négociation se terminât d’une manière ou de l’autre. Mais elle en demeurait toujours au même point. « La patience de Job serait en vérité nécessaire, Monsieur, écrivait Tessé[1]. Nous avons travaillé jusqu’à deux heures après midi et reculons à mesure que nous croyons avancer, ou peut-être nous avançons à proportion de ce que nous voulons reculer. » La difficulté était toujours la même, la Russie, et surtout la Prusse, se refusant à la diversion et ne voulant s’engager qu’à la conjonction, comme l’Angleterre et la Hollande s’y étaient engagées par un article du traité de la Haye : « J’entends bien, ajoutait Tessé, l’embarras où vous met le détail de cet article, mais je n’y vois guère d’emplastre. »

D’Huxelles commençait à douter également du succès, et il écrivait à Tessé[2] : « Si vous voyez bien clairement que l’on ne puisse se concilier présentement, il serait bon qu’il parût que la difficulté ne viendrait que de l’incertitude qu’on éprouve jusqu’à quel point le Roy de Prusse voudrait se porter pour l’exécution de la garantie, parce qu’en ce cas il nous resterait une ouverture pour amener le Czar au point de faire présentement un traité d’amitié, en attendant que l’on pût prendre des liaisons plus étroites. »

Kniphausen, qui était l’auteur principal de la difficulté, mais qui voulait en même temps en décliner la responsabilité, disait de son côté à Tessé en se promenant avec lui, à l’issue d’une de leurs nombreuses conférences, dans le jardin de l’hôtel de Lesdiguières : « Le Czar ne passera jamais l’article de la diversion que vous demandez au lieu de secours. Je ne sais pas non plus si mon maître le passerait. Ainsy j’ay lieu de croire que notre traité entier ne se fera pas. »

Quelques jours après avait lieu dans ce même jardin, entre Tessé d’un côté, le Tsar et ses ministres de l’autre, une dernière conférence qui achevait d’enlever tout espoir de succès. Voici en quels termes expressifs Tessé rend compte de l’intervention personnelle du Tsar[3] : « Notre Czar arriva donc hier au soir. Monsieur, très content de son voyage, mais dès qu’il eut, en arrivant, fait un tour de jardin et assemblé ses ministres, l’humeur luy

  1. Aff. étrang. Corresp. Moscovie, t. VIII. Lettre de Tessé du 5 juin 1717.
  2. Ibid. Le maréchal d’Huxelles à Tessé, 6 juin 1717.
  3. Ibid. Lettre de Tessé du 13 juin 1717.