Par une singulière bizarrerie, les corporations allaient se multipliant, aux XVIe et XVIIe siècles, tandis que le prix du travail, — travail du maître aussi bien que du compagnon, — allait diminuant. L’obtention de ces monopoles ne soulève à l’origine aucune difficulté, parce qu’ils se bornent à transformer un fait en droit : par lettres patentes de 1664, les selliers de Grenoble s’organisent en maîtrise ; « ceux qui sont à présent seront les maîtres, est-il dit, et ceux d’à venir passeront quatre ans en apprentissage et feront chefs-d’œuvre avant que pouvoir être reçus. » On pourrait craindre que les patrons ne fissent payer au public le privilège dont ils viennent d’être investis, en exagérant le prix des marchandises qu’ils sont seuls en droit de fabriquer ; et qu’ils ne fissent payer aussi ce privilège aux artisans à leur solde, en ne leur accordant qu’un salaire dérisoire. Mais, à pénétrer plus intimement le mécanisme commercial et industriel de l’ancien régime, on se convainc que ni l’une ni l’autre de ces éventualités ne pouvait se réaliser.
Pour hausser le prix de vente de leurs articles, il eût fallu que les maîtres coalisés fussent fidèles à leurs engagemens réciproques, qu’il n’y eût pas de concessions secrètes faites par aucun d’eux à leurs cliens, pour en accroître le nombre. En notre siècle, des syndicats de ce genre ont cent fois été tentés, et, pour leur faire échec, il n’a pas été besoin de concurrences nouvelles, telles que la liberté actuelle du commerce permet d’en fonder. Ces coalitions se sont détruites volontairement, parce que leurs membres ont été les premiers à en violer les clauses. Lors même qu’ils les eussent strictement observées, rien n’eût empêché les acheteurs auxquels on prétendait faire la loi de se fournir dans une ville voisine ; rien n’eût empêché non plus de nouveaux maîtres d’acquérir quelques-unes de ces « lettres de maîtrise », qui traînaient dans les cartons des bureaux de finance de la généralité : maîtrises créées à tout propos par les rois, pendant les trois derniers siècles, pour tous métiers et avec une profusion telle qu’elles se délivraient à très bon marché. Que dis-je ! Bien avant que l’on ait eu à en venir là, le corps d’état qui eût essayé de majorer exagérément ses prix, grâce à ce monopole qu’il tenait du socialisme professionnel, eût vu le socialisme municipal, plus puissant encore, se dresser contre lui, et le conseil de ville, soutenu par l’opinion publique, l’eût, de façon ou d’autre, mis à la raison.
Avec les ouvriers, un essai d’avilissement des salaires au-dessous du taux normal, résultant de l’offre et de la demande, n’eût pas mieux réussi aux patrons privilégiés, parce que les compagnons auraient émigré en d’autres villes, auraient passé à d’autres métiers.