vie mauvaise, les cieux fermés et qu’on jette l’anathème à toute la nature ; elle n’est pas faite de pitié et ne s’attendrit pas sur l’universelle misère. Elle n’est que la conséquence d’une sorte de continuelle déception. C’est la condition elle-même du désir que l’intensité avec laquelle il aspire à son objet lui soit une souffrance, et que cet objet à peine possédé ne lui laisse que la lassitude et le dégoût. Il est mobile et changeant, enfiévré encore par la sensation de la fuite irrémédiable du temps. Car il n’éclaire que quelques années, laissant les autres décolorées et vides de tout ce qui n’est pas le regret. Ce regret s’avive de la pensée que le festin auquel vous n’êtes plus convié reste servi pour de plus jeunes. « De pareils charmes, vous les sentez encore, mais ils ne sont plus pour vous : la jeunesse qui les goûte à vos côtés et qui vous regarde dédaigneusement vous rend jaloux et vous fait mieux comprendre la profondeur de votre abandon. » Telle est cette tristesse, rançon du plaisir, née de l’impossibilité de prolonger et de fixer de courtes joies.
L’égoïsme n’est pas moins essentiel à cette âme ; force est bien de prendre le mot dans son sens vulgaire, attendu qu’on ne lui en connaît pas d’autre. René ne rapporte tout qu’à lui seul : dans la gloire, dans l’art, dans l’action, dans l’amour il ne recherche que sa propre satisfaction ; il est incapable de se détacher de lui-même, de s’oublier et de se donner. Mme de Duras disait : « M. de Chateaubriand ne gâte pas ses amis. J’ai peur qu’il ne soit un peu gâté par leur dévouement. » Ceux qui lui étaient le plus passionnément attachés, il les désolait par des caprices et des violences dont il ne se repentait que quand il n’en était plus temps. « Je n’ai cessé, avoue-t-il, de me reprocher les inégalités dont j’ai pu affliger des cœurs qui m’étaient dévoués. » Il a souhaité non pas tant d’aimer que d’être aimé : source nouvelle de doute et de tourment. « Quant à l’intérêt dont j’ai paru être l’objet, je n’ai jamais pu démêler si des causes extérieures, si le fracas de la renommée, la parure des partis, l’éclat des hautes positions littéraires ou politiques n’était pas l’enveloppe qui m’attirait des empressemens. » Non plus que les gens, il n’aime pas les choses pour elles-mêmes. « Je ne m’intéresse à quoi que ce soit de ce qui intéresse les autres… Mon grand défaut c’est de n’être enivré de rien ; je serais meilleur si je pouvais prendre à quelque chose. » Pour n’avoir pas su se déprendre de soi il n’a pu atteindre ce qui fait le prix de la vie. C’est dans le sacrifice de soi qu’on trouve le repos, dans le dévouement à un être ou à une idée.
Ajoutez une vanité qui, poussée à ce degré d’exaspération, devient une torture intolérable. On parle de l’orgueil de Chateaubriand. Mais l’orgueil est une force et un gage de sécurité. Il est une certitude, et, dans la conscience que nous avons de la valeur de notre œuvre et de l’efficacité de notre effort, il nous garantit contre l’indifférence ou