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C’est en continuant ce jeu que le souverain et M. de Bismarck conduisirent les choses jusqu’à la veille du conflit. Quand elles en furent à ce point, le dissentiment apparent qui semblait les diviser, disparut soudain, et ils tinrent le même langage, accusant l’Autriche d’avoir armé dans les plus noirs desseins, d’avoir mis la Prusse dans la nécessité de pourvoir à sa défense, et le roi, rentrant victorieux à Berlin, se crut autorisé, dans son discours du trône, à remercier « la Providence de la grâce qui avait aidé la Prusse à détourner de sa frontière une invasion ennemie. »

La fortune avait couronné l’entreprise sans que l’Europe s’en fût suffisamment émue pour en limiter le succès. On en conclut à Berlin qu’on était assez puissant pour satisfaire d’autres convoitises et substituer l’empire germanique à la confédération de l’Allemagne du Nord, et on s’y prépara activement. Quelle fut, durant cette période, la conduite de M. de Bismarck ? Ayant un dessein bien arrêté, celui de contraindre la France à subir l’unité de l’Allemagne, obligé, d’autre part, de laisser au général de Moltke le temps nécessaire à l’organisation de la nouvelle armée, il prit une attitude qui ne fut complètement ni celle qu’il avait observée dans l’affaire des Duchés, ni celle qu’il avait eue avant la guerre de 1866, mais qui tenait à la fois de l’une et de l’autre ; il adopta une politique dilatoire, lui permettant de laisser courir le temps jusqu’au moment opportun. Il se montra, parfois, conciliant dans ses rapports avec la France, mais il déclina courtoisement toutes les ouvertures qui lui vinrent de Paris ayant pour objet d’amener, avec un rapprochement entre les deux gouvernemens, une entente commune soit en Italie soit en Orient. En Italie il prenait soin au contraire, sans l’avouer, d’entretenir l’irritation causée par notre occupation de Rome, source, pour nous, de difficultés qu’il avait intérêt à aggraver en vue des éventualités qui étaient au fond de sa pensée ; en Orient, il tenait exclusivement à satisfaire la Russie dont il voulait se ménager la cordiale bienveillance. En janvier 1870, il déclina, sans même consentir à l’examiner, une proposition de désarmement simultané présentée par le cabinet anglais à l’instigation du cabinet français. L’heure approchait d’ailleurs où il faudrait jeter le masque et hâter l’explosion de la lutte. Au printemps de 1870, M. de Moltke estimait qu’on était en mesure de l’engager. M. de Bismarck mit aussitôt en avant la candidature du prince de Hohenzollern à la couronne d’Espagne qu’il avait préparée de longue main, et nous avons démontré ailleurs qu’il la fit prévaloir dans les conseils du roi comme le meilleur moyen de provoquer la guerre qui a été ainsi son œuvre personnelle.

Le comte de Cavour a méconnu, lorsqu’il s’est associé à Garibaldi pour déposséder le roi de Naples, les engagemens contractés