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d’être musicien, avait-il entrepris de mettre en musique les Aventures de Télémaque. En Allemagne même, comme s’ils doutaient du pouvoir de la musique pure, les compositeurs se traçaient des programmes adaptés par eux à des conceptions philosophiques ou littéraires. Pichel avait écrit neuf symphonies sous les noms des Neuf Muses et trois autres sous ceux des Trois Grâces, et Ditters de Dittersdorff publiait en 1795 quinze symphonies dans lesquelles il avait eu la prétention de représenter des épisodes empruntés aux Métamorphoses d’Ovide. D’autres, s’autorisant de quelques-unes des symphonies de Haydn, telles que la Poule, l’Ours, la Chasse, etc., inclinaient vers la musique pittoresque et s’appliquaient à imiter les bruits de la nature, les cris ou les allures des animaux. D’autres enfin, plus fidèles aux saines traditions du genre, entendaient se renfermer dans le domaine de la musique pure et, sans recourir à aucun commentaire, croyaient que l’intérêt de leurs œuvres devait être cherché exclusivement dans l’emploi raisonné des ressources orchestrales. Parmi ces derniers, il convient de citer : Neubauer, Gyrowetz, Wranicki, un compositeur de ballets nommé Cannabieh et surtout Ignace Pleyel qui, fixé momentanément à Londres, y partagea pour un temps avec Haydn les faveurs du public anglais. Quant à Boccherini, dont quelques ouvrages de musique de chambre sont restés célèbres, ses symphonies, ainsi que le remarque un de ses biographes[1], ne sont, à vrai dire, que des quintettes ou des sextuors un peu renforcés.

En somme, ces œuvres plus ou moins estimables disparaissent complètement aujourd’hui devant celles de Haydn et de Mozart, et l’on put croire un instant qu’après ces deux maîtres la symphonie, où ils avaient excellé, allait retomber dans l’oubli. Il était réservé à Beethoven d’agrandir son domaine et de montrer toute la puissance que pouvait encore atteindre une forme de l’art dont il a été le représentant le plus original et le plus élevé. Grâce aux nombreuses publications relatives au grand compositeur, sa biographie, longtemps assez obscure, commence à être mieux connue. Nous voyons peu à peu se dessiner les traits de cette nature fière et bizarre dont les conditions mêmes de la vie devaient encore accentuer la physionomie. En s’aidant des études de Nohl, de Thayer, de Nottebohm et de Wasilewski, M. Th. de Wyzewa nous montrait il y a peu de temps ici même[2] ce qu’avait été l’enfance de Beethoven, la précocité de sa vocation, la tendresse de sa mère, la vulgarité de ce père ivrogne, brutal, inintelligent, qui tantôt emmène avec lui son fils au cabaret et tantôt, par la

  1. L. Picquot, Notice sur la vie et les œuvres de L. Boccherini ; Paris, 1851.
  2. La Jeunesse de Beethoven, Revue du 15 septembre 1886.