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suffira donc de constater qu’à partir de 1815, il manifeste avec une ampleur croissante l’entière originalité de son style, et sans trop s’inquiéter des règles consacrées, il en vient à une indépendance absolue dans la coupe générale aussi bien que dans les proportions des diverses parties de la symphonie. Quoi d’étonnant si les étrangetés, les accens de passion sauvage de cet art si personnel dont nous goûtons pleinement aujourd’hui la grandiose poésie, parurent alors pleins de confusion, d’obscurités et d’hérésies, non seulement à des connaisseurs réputés, mais même à des artistes tels que Spohr et Weber qui, tout en y découvrant des « étincelles de génie », déploraient ces écarts et s’élevaient avec véhémence contre des dérogations au style classique qu’ils jugeaient condamnables et funestes.

Avant de quitter Beethoven, nous devons pourtant nous arrêter à deux de ses grandes productions instrumentales qui, à raison de leur caractère, méritent de fixer un instant notre attention : nous voulons parler de la Symphonie pastorale et de la Symphonie avec chœurs. Le maître, nous l’avons dit, aimait passionnément la nature, et avec les progrès de sa surdité et de sa misanthropie, il était de plus en plus porté à chercher en elle les consolations et le repos dont il avait si grand besoin. Tandis qu’à la ville tout lui rappelait, tout lui faisait cruellement sentir son infirmité, les douces sensations qu’il goûtait à la campagne le pénétraient peu à peu et procuraient à son âme un apaisement passager. Souvent il aimait à s’échapper de Vienne pour se diriger vers les hauteurs du Kahlenberg. Là, dans les sentiers qui contournent la colline, dans les bois qui dominent le cours du fleuve, les perspectives variées sur le vaste horizon qu’on découvre de ces sommets charmaient ses regards. Il jouissait de la lumière, de la pureté de l’atmosphère, des bruits de la vie rustique qu’il croyait encore percevoir. Dégoûté du monde, il se plaisait dans la société des paysans, s’intéressait à leurs travaux et prêtait toutes les vertus à la simplicité de leur paisible existence. L’idée de traduire dans son art des impressions si bienfaisantes devait le tenter, et il s’était proposé de le faire dans la Symphonie pastorale (Op. 68) qui fut exécutée le 22 décembre 1808, en même temps que celle en ut mineur (Op. 67). Si les formes en étaient pareilles, les inspirations différaient complètement, et quelques mots écrits par Beethoven sur la partition de la première nous renseignent sommairement à cet égard. On y lisait en effet : « Eveil de sensations sereines à l’aspect de la campagne. Scène au bord du ruisseau ; réunion joyeuse de campagnards, orage ; tempête. Chant du Berger. Sentimens joyeux et reconnaissons après l’orage. » Il n’en fallut cependant pas davantage pour assurer à cette composition