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l’effort. Sans doute les moyens chez lui sont souvent plus riches que le fond lui-même, et l’intime fusion de tant de mérites divers qui se tempèrent mutuellement rend parfois injuste à son égard. On souhaiterait plus d’émotion, des élans moins contenus, moins de réserve et de possession de soi-même. A certains momens d’inspiration plus haute et d’abandon, il semble lui-même donner raison à ces critiques, car il est alors capable de passion, de pathétique et même de simplicité. Mais le génie ne se commande pas, et si Mendelssohn n’y a que rarement atteint, jamais non plus dans ses œuvres vous ne trouverez de faiblesses, ni de fautes de goût. Il reste comme un exemple de cette unité morale et de ce noble souci de la perfection qui, chez lui, ne se sont jamais démentis et, malgré la brièveté de sa vie, le nombre et la valeur de ses compositions lui permettaient de se rendre cette justice que du moins il avait fait tout ce qu’il pouvait.

Un contemporain de Mendelssohn, Robert Schumann, moins favorisé que lui par la fortune, mais animé comme lui par un ardent amour pour son art, avait acquis une renommée égale à la sienne. De leur vivant, pendant plusieurs années, les deux maîtres partagèrent l’Allemagne en deux camps rivaux, tandis qu’eux-mêmes, incapables d’aucun sentiment de jalousie, professaient l’un pour l’autre une mutuelle estime. Tendre, nerveux à l’excès, Schumann avait, dès sa jeunesse, à lutter contre la cruelle maladie qui, après avoir obscurci son intelligence, causa prématurément sa mort. Incapable de diriger sa vie, il cédait d’abord sans résistance au désir de sa famille, qui rêvait pour lui une carrière juridique. De bonne heure cependant il avait senti sa vocation. Quand elle se fut manifestée à lui plus clairement, il se livra avec passion à l’étude du piano et devint en peu de temps un virtuose très habile. Mais, dans son ardeur, il ne pouvait se contenter des méthodes ordinaires, et pensant donner à son jeu plus de force et de souplesse, il avait imaginé des exercices mécaniques qui amenèrent une paralysie partielle de sa main gauche. Condamné par suite à un repos absolu, le jeune homme s’était appliqué à la composition, sans avoir pourtant grande confiance dans ses aptitudes, car après des essais déjà assez nombreux, il écrivait modestement à sa mère « qu’il sentait parfois en lui quelque imagination, peut-être même quelque originalité d’invention. » En dépit de son manque absolu de savoir-faire, son génie devait éclater dans les morceaux écrits pour le piano ou pour la voix humaine qui bientôt le rendaient célèbre. Schumann y exhale les intimes souffrances d’une âme inquiète, torturée par les menaces d’un mal terrible, en même temps que par l’amour longtemps contrarié qu’il avait conçu pour la noble femme qui devait devenir sa compagne.