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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/210

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son époque ; il a, sans le vouloir, bien des traits qui l’y rattachent. On est étonné des similitudes qui existent entre des contemporains qui se croyaient très différens, et quand on pense à la violence de la querelle qui, au siècle dernier, divisait en adversaires irréconciliables les partisans de Gluck et ceux de Piccini, on est surtout frappé aujourd’hui par les analogies et l’air de famille qu’offrent ces deux maîtres.

La période de maturité de la symphonie, nous l’avons vu, ne devait pas être de longue durée. Après que, par une lente élaboration de ses matériaux et de sa forme, elle était parvenue à se constituer, bien vite elle avait atteint sa perfection qu’allait suivre de si près une rapide décroissance. Le nombre des morceaux qui la composent, l’ordre dans lequel ils se succèdent, leurs proportions, leur caractère, la gradation d’effets et les contrastes qu’ils présentent entre eux, tout cela n’était point l’effet du hasard. Mais pour donner la vie à un organisme si puissant et si complexe, la divination et l’instinct des maîtres avaient plus fait que les recherches des savans.

L’art a des clartés que la raison n’a pas. Bien avant que Chevreul érigeât on doctrine scientifique la loi du contraste simultané des couleurs, Titien et les maîtres de Venise avaient dans leurs radieuses peintures pratiqué pour la joie de nos yeux le rapprochement des couleurs amies, et les théoriciens de l’harmonie s’ingénient encore aujourd’hui à justifier ou à expliquer des accords que Beethoven avait osés et qui, tenus pour de véritables hérésies par les contrepointistes de son temps, demeurent consacrés par son nom. La symphonie tout entière avec ses moyens d’action, ses idées, son langage, émane du génie de l’homme, et entre les diverses formes de l’art, il n’en est pas qui soit une plus évidente démonstration de l’idéal ni qui l’affirme d’une manière plus communicative et plus saisissante.


EMILE MICHEL.