Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/232

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puis délibèrent entre eux, s’enfonçant dans leur stupide révolte par bravade, par peur les uns des autres, par la griserie que leur donnent certains grands mots révolutionnaires ; insensibles aux sacrifices du patron, moins encore parce qu’ils ont pris l’habitude de les croire intéressés que parce qu’ils n’y ont jamais senti son cœur… Oui, tout cela est excellent, d’un comique franc et fort, et d’une vérité qui saisit aux entrailles. — Mais j’avoue n’avoir retrouvé ni cette vérité ni cet accent dans les deux interminables assemblées des dames patronnesses. Même, la scène où ces perruches font entrer les ouvriers au salon, et, jouant à la familiarité, leur offrent du madère et des gâteaux, m’a paru indiciblement fausse, non par l’idée, mais assurément par l’exécution et l’arrangement. Ici, et dans quelques autres endroits, l’auteur, tout à sa démonstration, a oublié de regarder la vie. Cela pourrait être du Destouches, hélas !

Telle qu’elle est, — avec ses qualités supérieures et ses défauts qui du moins restent candides, — la pièce, extrêmement intéressante, ne serait pas sans dureté (car enfin ces maladroits bienfaiteurs ont presque tous de bonnes intentions ; mal donner vaut tout de même mieux que de ne pas donner du tout, et l’on pourrait croire, selon le mot d’Augier, que ce que M. Brieux a trouvé de plus neuf sur la charité c’est qu’il ne faut pas la faire) si la pensée du généreux auteur n’apparaissait, quoi qu’on ait dit, claire comme le jour, dans deux scènes qui se font soigneusement pendant. La première, c’est quand l’ouvrier Pluvinage vient demandera Landrecy une consolation et un conseil, et, brusquement congédié, n’obtient qu’une pièce de cent sous. Et la seconde, c’est quand ce même ouvrier, sa femme morte, vient conter au patron sa détresse, et que celui-ci s’attendrit bonnement, tend sa main au pauvre homme et le reçoit sanglotant sur son épaule. Ces deux épisodes ne sont peut-être pas les plus « rares » de l’ouvrage ; mais on ne niera point que la leçon qui en ressort ne soit irréprochablement lumineuse.

Cette leçon, c’est que la « charité » ou pour mieux dire l’aumône, — fût-elle abondante et, ce qu’elle n’est jamais, moins chinoisement organisée qu’une administration d’État, — ne suffit à rien, et qu’il y faut encore la bonté, l’ouverture du cœur et la communication familière entre les riches et les pauvres. Une scène malheureusement supprimée montrait ce qu’il y avait, à l’insu de Pauline, d’orgueil et de goût de la domination dans son espèce de fanatisme charitable : Pauline voulait contraindre une petite cousine à épouser le roi de l’or pour sauver ses « œuvres » et signifiait donc par-là qu’elle manquait de la simple bonté…

Mais peut-être que l’humilité non plus ne serait pas ici de trop. Dans un conte que j’ai lu, et qui développait un lieu commun analogue à celui de M. Brieux, un homme riche et qui avait eu la charité prodigue