Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

extrêmement. Or, cet « extrêmement » implique le dépouillement de presque tout, la vie entière consacrée aux autres, et, à peu de chose près, la sainteté. Ainsi, chose admirable, l’humanité tend à l’extinction de la misère dans la mesure même où elle tend au perfectionnement intérieur, et son salut spirituel et son salut économique ne font plus qu’un aux confins extrêmes de l’idéal.

Penser à cela est bon ; et l’œuvre de M. Brieux, qui nous contraint à y penser, ça et là, avec angoisse, est digne d’estime et de louange. Allez entendre cette comédie d’un peintre souvent excellent et d’un très honnête homme ; vous serez tour à tour amusés et « édifiés » au plus beau sens du mot ; et par surcroît vous aurez, à certains momens, la joie d’applaudir contre quelqu’un ou contre quelque chose. Elle est d’ailleurs jouée avec une virtuosité aisée et souveraine par M. Coquelin, et avec un remarquable talent par M. Péricaud d’abord et M. Gravier, puis par MM. Desjardins et Jean Coquelin, et par Mlles Ariette et Blanche Miroir. Et je ne dis nul mal des autres.

Il y a bien des choses dans La Villa Gaby. Il y a, à la fin du deuxième acte, un paquet de quiproquos vaudevillesques, qui m’a paru gros et désobligeant. Il y a une comédie, presque psychologique, sur ce thème, qu’ « une honnête femme peut ne pas aimer son mari, mais ne parviendra jamais à en aimer un autre » ; et cette comédie, jolie ça et là, est en partie escamotée, en partie d’un style qui n’est pas sans prétention. Et je réprouve, pour ma part, ces mélanges de la farce avec le marivaudage qui s’applique et la comédie qui veut être littéraire.

Il y a enfin, par bonheur, un long et joyeux épisode de vive et franche et très comique fantaisie : les amourettes d’une fillette et d’un potache, et comment ces deux gamins découvrent qu’ils s’étaient trompés, et comment la petite sœur aide alors la grande sœur à revenir à son mari, en lui enlevant le monsieur que ladite grande sœur croyait aimer. Jamais M. Léon Gandillot n’a eu plus de gaîté ni d’esprit, et de toutes sortes, que dans cet épisode. Cela sauve le reste, et c’est cela qui a assuré le succès de la Villa Gaby.

Mais Ferdinand le Noceur était plus harmonieux.

La Villa Gaby a été jouée à ravir par MM. Boisselot, Galipaux, Huguenet, Numès, et par Mme Grassot et Mlle Medal. Mais surtout Mlle Yahne a fait notre joie. Il se pourrait que cette jeune comédienne, d’une drôlerie mordante et tranquille, fût dans peu une étoile, je dis une étoile pour de bon.


JULES LEMAITRE.