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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/239

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étaient les ennemis systématiques de l’esclavage, et qu’aussitôt maîtres de l’île, ils ne manqueraient pas de le supprimer. Ces accusations, ou, pour être plus exact, ces allégations qui n’étaient pas toutes mensongères, — on l’a bien vu en ce qui concerne l’esclavage, — entretenaient dans les esprits des fermens d’abord de suspicion, puis de colère et de haine. Le Hova y avait cru d’abord ; puis il en avait douté ; puis il avait presque cessé d’y croire dans les premiers jours qui avaient suivi la prise de Tananarive, à voir le peu de changement que nous avions apporté dans les institutions du pays ; l’apaisement aurait pu se faire et la confiance renaître ; mais bientôt les nouvelles venues d’Europe ont donné un autre cours aux esprits. Trompés sur quelques points, ils ont cru l’être sur tous. Alors s’est passé, dans la presque totalité du pays et plus particulièrement dans les campagnes, un phénomène moral dont nous avons peine à nous rendre compte, mais qui a contribué pour une large mesure à créer la situation actuelle, à savoir la réaction païenne contre le christianisme. Déjà, au cours de la première période, le mal était apparu, mais il ne s’était pas encore très développé. Le général Duchesne, dans le remarquable rapport qu’il a adressé au ministre de la guerre et dans lequel il lui rend compte de toutes ses opérations militaires, parle du soulèvement qui s’est produit à 40 kilomètres au sud-ouest de Tananarive, le 22 novembre dernier. « Un pasteur anglais, dit-il, M. Johnston, sa femme et leur fille furent cruellement massacrés ; le gouverneur hova d’Arivonimamo et ses principaux officiers, qui avaient tenté, avec quelques soldats, d’arrêter les chefs du mouvement, furent également tués, avant ou après cet assassinat. Cette insurrection paraissait être dirigée non seulement contre le gouvernement de la reine et contre nous, mais, d’une manière générale, contre tous les chrétiens. A sa tête se trouvaient plusieurs prêtres des vieilles idoles et un pu deux sorciers. » Que sont ces prêtres des vieilles idoles et ces sorciers ? Il est important de le savoir si on veut se rendre compte de la nature de l’insurrection qui occupe aujourd’hui tout le plateau central.

Le christianisme est d’importation récente à Madagascar : il n’y date guère que de quelques années. Auparavant, le culte des idoles existait dans certaines parties de l’île, non pas dans toutes, et il semble même que ce culte était assez nouveau, lui aussi, dans les régions où il était pratiqué. La croyance fondamentale de toutes les peuplades qui habitent l’île, et qui sont sans doute de même origine puisqu’elles parlent la même langue, est la croyance en un dieu unique. Mais il s’en faut de beaucoup que cette croyance ait un caractère dégagé de tout alliage : il s’y mêle des superstitions fort grossières. Le Malgache croit que le bien et le mal sont déterminés par des moyens mystérieux dont sont dépositaires ses prêtres d’autrefois, lesquels ne sont autre chose que des sorciers. Il y a des procédés sûrs pour conjurer le mauvais