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leur est plus favorable qu’à nous ; ils s’organisent, comme nous l’avons dit, ils reçoivent des armes. Quant à nous, nous ne recevons rien, ou peu de chose. Le général Galliéni n’a pas encore pu se rendre assez bien compte de la situation pour exprimer ses besoins sous la forme de chiffres, soit en hommes, soit par conséquent en argent ; mais tous ceux qui sont au fait des choses ont l’absolue conviction que des renforts lui seront indispensables pour reprendre la campagne au printemps prochain. L’Emyrne est devenue une sorte de Vendée, qu’il devra reconquérir pied à pied. Il y a des procédés pour cela, et le général Gallieni les connaît bien ; ils n’ont d’autre inconvénient que d’être très onéreux. Nous avons pratiqué ces procédés en Algérie, au Soudan, et un peu au Tonkin ; nous serons obligés de les appliquer à Madagascar. Toutes les fautes se paient, et celles qui ont été commises ont été trop lourdes pour ne pas coûter cher. Mais à qui la responsabilité, sinon au ministère qui a déchiré le premier traité, celui du 1er octobre 1895, et qui a envoyé à Tananarive M. Laroche pour y apporter et y représenter, — ce qu’il a fait on ne peut mieux, — la confusion de ses idées et la contradiction de ses principes ?

Le ministère actuel a eu le mérite de rappeler M. Laroche et de le remplacer par un militaire : reste à savoir s’il donnera d’un seul coup à ce dernier tout ce dont il aurait besoin pour faire face à tant de dangers. Il faut pour cela le plus rare de tous les courages, le courage parlementaire, qui consiste à voir et à montrer aux Chambres et au pays les choses telles qu’elles sont. Le ministère aura-t-il ce courage ? Le parlement aura-t-il celui d’accepter une situation qu’il a contribué à faire naître et dont la responsabilité lui revient pour une grande part ? Alors, les choses seront au mieux. Qu’est-ce à dire ? On a répété, et on n’a pas eu tort, que le système du protectorat ne produit ses effets salutaires qu’au bout d’un temps que les impatiens trouvent long. Eh bien ! si au bout du même temps, le système de l’annexion, après avoir fait couler beaucoup de sang, après avoir fait dépenser beaucoup d’argent, produit finalement les mêmes résultats, s’il nous rend vraiment maîtres par la force d’un pays dont nous avons renoncé à nous emparer par la politique, il faudra nous tenir pour très satisfaits. On nous permettra tout de même, au risque d’être qualifié d’esprit chagrin, de protester contre la manière déplorable dont toute cette affaire a été conduite, et qui, au dernier jour comme au premier, nous amène et nous oblige à faire juste le contraire de ce que nous voulions, juste le contraire de ce qu’on nous avait promis.


Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.