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d’après les figures du Poussin. L’hiver, il continua ses visites ; mais pour diminuer notre embarras de leur fréquence, il avait imaginé d’amener avec lui un blondin de trois ans qu’il appelait son filleul… La séance achevée, Géricault nous demandait toujours la permission de nous reconduire jusqu’à la voiture, ce qu’il fallait bien encore lui accorder, et, nous ne songions pas, je l’avoue, à abréger le chemin. Seul le pauvre petit, que notre conversation n’amusait guère et qui avait froid, ne l’entendait pas ainsi. A chaque instant il se retournait et disait tristement : « Mon parrain, c’est bien long par cette allée ! »

La jolie scène, si bien contée, datait de 1817, l’année même où, ayant donné le Cuirassier, Géricault se voyant de nouveau méconnu, partit pour l’Italie.

En écoutant Mlle de Montgolfier, je tenais dans mes mains le masque funèbre que j’avais détaché de la muraille. Nous le regardâmes ensemble une dernière fois, les yeux voilés de larmes.

C’est qu’outre les tristesses de la mort, ce masque garde celle d’un destin inaccompli… Au moment où éclatent son originalité, sa puissance souveraine, la vie lui échappe. A vrai dire, il allait de lui-même au-devant de la mort, ne se doutant pas des gages certains qu’il tenait déjà de son immortalité.

Il n’eut pas non plus la foi dans l’éternité de la Patrie… Comment ne l’eut-il pas, alors qu’il venait de lui créer ses puissans et immortels symboles, sa première peinture populaire ?

La France était en lui.

Grâce à Dieu, elle nous est restée pour en témoigner, cette admirable trilogie, dramatique au début, à la fin funèbre.

Le Chasseur au Départ date de 1812. Géricault avait alors vingt et un ans.

A vrai dire, c’est l’élan et non le départ, car le riche costume est déjà fatigué. Ta culotte de peau est déjà bien tannée, mon brave… Le cheval, qui est vrai, est pourtant fantastique par le raccourci, qui en fait un griffon.

Toutefois, ce n’est pas le cheval pâle, apocalyptique… C’est un vrai limousin, vivant, très fin, de race pure. Il est vrai aussi, dans son violent écart pour éviter un canon déjà presque enterré… la bataille par-dessus les ruines de la bataille, car celles-ci duraient souvent trois jours.

Le cavalier est mûr, non fatigué, mais tanné lui-même par la guerre… Le cheval, bien plus jeune, a un feu terrible ; il pince la terre des deux pointes des sabots ; la queue est flamboyante…

L’homme, admirablement ferme en selle sur son cheval cabré. Il est si guerrier, qu’il n’a plus même la furie de la guerre,