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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/332

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énoncé prouve une fois de plus quelle est la chimère des argentistes. Ils conservent le nom de dollar, mais fabriquent en réalité une nouvelle monnaie différente de l’ancienne. Celle-ci était un certain poids d’or. Aussi longtemps qu’elle n’est pas métamorphosée en un poids d’argent, elle ne varie pas par rapport aux monnaies d’or des autres pays. La classe des exportateurs sera favorisée jusqu’à ce que le prix général de la vie aux États-Unis ait renchéri dans une proportion égale à celle de cet accroissement de bénéfices et annule les avantages qui sembleront tout d’abord en résulter pour cette catégorie particulière de citoyens. En admettant que cet avantage soit de quelque durée, il ne ferait que compenser pour l’ensemble de la nation les pertes résultant du renchérissement des objets d’importation.

Parmi ces derniers, l’Amérique compte au premier rang les capitaux européens, qui ont commandité une partie de ses chemins de fer, de ses industries, et qui ont également acquis nombre d’obligations du gouvernement fédéral, des États et des municipalités. Il convient d’envisager ce côté de la question, essentiel dans la dernière crise.


IV

L’Amérique se trouve dans la situation de la plupart des nations jeunes, qui, pour mettre en valeur leurs ressources naturelles et donner à l’activité de leurs populations l’occasion de s’exercer plus vite et plus fructueusement, ont fait appel aux capitaux du dehors. Les vieilles civilisations européennes regorgent de réserves, qui ont peine à s’employer là où l’outillage industriel est presque complet, où le taux d’intérêt est bas : une sorte de loi d’équilibre universel attire ces réserves vers les contrées récemment ouvertes. Nulle part cet effet ne s’est produit avec plus d’intensité qu’aux États-Unis, où tout concourait à rendre les placemens de fonds attrayans pour les étrangers : ressources naturelles infinies, territoires pour ainsi dire illimités, climat en général tempéré et salubre, enfin et surtout caractère énergique et entreprenant des habitans, capables de concevoir et d’exécuter les entreprises les plus hardies. Il est difficile d’évaluer les capitaux européens qui ont, au cours de ce siècle, franchi l’Atlantique afin de s’employer dans les affaires les plus diverses, mais il est certain qu’ils se sont élevés à un chiffre énorme : pour l’Angleterre seule, ils représentent beaucoup de milliards. Quoique les Américains, devenus rapidement très riches, au point que leur fortune nationale est évaluée à plus de trois cents milliards de francs, aient commencé à racheter dans beaucoup de cas la totalité ou une partie des