Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont stipulés en francs ou en livres sterling. Le fardeau de ces dettes s’est accru pour les pays emprunteurs de tout le montant de la prime sur l’or, qui varie aujourd’hui de 8 pour 100 en Italie à 200 pour 100 au Brésil. Le même phénomène se produirait aux États-Unis : la prime sur l’or augmenterait avec la quantité d’argent frappée dans le pays.

D’une façon générale, tous les débiteurs américains de l’étranger, particuliers ou sociétés, seraient les premiers à souffrir. Ceux au contraire qui sont créanciers du dehors, notamment les exportateurs agricoles et industriels, se défendraient mieux, puisque les monnaies étrangères qu’ils recevraient en paiement de leur blé, de leur maïs, de leur pétrole, de leur cuivre, équivaudraient à une quantité nominale de dollars plus grande qu’auparavant. Mais qui donc profiterait du changement ? Il est aisé d’énumérer ceux qui seraient atteints, ceux qui seraient à peu près indemnes, mais il n’est guère possible de déterminer la classe de citoyens dont la situation serait améliorée de ce chef, sauf celle des propriétaires de mines d’argent. Est-ce pour arriver à ce résultat que l’on agite 70 millions d’hommes ? Il n’est pas un électeur sur cent, parmi ceux qui ont voté pour Bryan, qui n’eût déchiré son bulletin s’il se fût rendu compte des conséquences du scrutin. Malheureusement la question qui passionne les États-Unis est une des plus compliquées de l’économie politique, malgré sa simplicité apparente. La notion exacte de la monnaie, sa signification philosophique, son rôle vrai dans les transactions humaines, sont ignorés de la plupart des hommes, et mal compris souvent par ceux-là mêmes que leurs études ou tout au moins leur genre d’occupations auraient dû préparer à l’intelligence des lois monétaires. Lorsqu’on voit des personnages aussi considérables que ceux dont les noms figurent à la tête des ligues bimétallistes défendre une théorie scientifiquement incorrecte et pratiquement inapplicable, puisque six congrès internationaux n’ont pu se mettre d’accord sur un commencement d’exécution quelconque, on ne s’étonne plus de la facilité avec laquelle des travailleurs agricoles ou industriels applaudissent la creuse rhétorique d’un Bryan.

Déjà la perspective d’une législation argentiste avait semé l’inquiétude parmi les porteurs de titres américains stipulés en or, et encore plus parmi ceux qui possèdent des créances exprimées simplement en dollars, c’est-à-dire en monnaie nationale, sans spécification du métal dans lequel les débiteurs devront s’acquitter. Pour cette dernière catégorie, il est certain que le préjudice subi par le créancier eût été proportionnel à la dépréciation qu’eût subie le futur dollar d’argent, érigé à la dignité de monnaie