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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/340

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comme toute autre marchandise, est d’autant moins demandé qu’il en existe de plus fortes quantités.

A cela les bimétallistes répondent : En ouvrant les hôtels des monnaies du monde entier à la libre frappe de l’argent et de l’or, nous créons une demande illimitée pour l’un comme pour l’autre : il n’y aura donc jamais excès de production. Cela est vrai. Si cet accord international, vainement tenté par une demi-douzaine de congrès et de conférences, était possible ; si tous les pays civilisés et sauvages sans exception édictaient une législation uniforme qui décrétât la frappe libre de l’or et de l’argent et un rapport fixe entre les deux métaux, le rapport légal, quel qu’il fût d’ailleurs, deviendrait le rapport commercial. L’exploitation des mines d’argent reprendrait de plus belle, la production annuelle de ce métal doublerait ou triplerait, le volume de la monnaie en serait accru d’autant dans les cinq parties du monde. Mais quel avantage en résulterait-il pour l’humanité ? Le caractère conventionnel de la monnaie apparaîtrait d’autant plus vite. La contradiction flagrante qui existe déjà entre la recherche fiévreuse des gisemens métalliques et la diminution évidente de l’emploi de ces mêmes métaux précieux dans les transactions humaines, éclaterait au grand jour plus rapidement encore : elle hâterait le moment où la masse ignorante elle-même se demandera dans quel intérêt, après tout, tant d’êtres humains consacrent leurs efforts à l’extraction de métaux stériles, dont l’usage direct est restreint et n’absorbe qu’une faible fraction des quantités annuellement produites. C’est à la somme requise pour ces usages industriels de l’or et de l’argent que se limiterait alors la production.

Ceux qui nous disent que le prix de l’or et de l’argent est uniquement fixé par l’éternelle loi de l’offre et de la demande ont à la fois raison et tort. Ils ont raison, parce qu’il est certain que nul ne songerait à travailler une mine s’il ne comptait pas avoir un acheteur, c’est-à-dire une demande pour ses produits. Ils ont tort, en ce sens que le marché de l’or et, dans les pays comme le Mexique qui ont conservé la libre frappe de l’argent, celui de ce dernier métal, ne sont pas des marchés libres ou du moins naturels. La loi y a créé une demande inépuisable, indéfinie, à prix fixe, qui empêche toute fluctuation nominale dans la valeur du métal. Aussi longtemps qu’il sera possible d’extraire d’une mine un kilogramme d’or à un prix moindre que les 3 444 francs que paie la Monnaie française pour ce poids d’or fin, aussi longtemps qu’on pourra extraire un kilogramme d’argent à un coût inférieur aux quarante piastres que le gouvernement mexicain donne en échange de ce kilogramme, on travaillera les mines. Mais que la demande pour la frappe cesse : c’est alors seulement