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la France isolée du reste du monde et vivant sur son fonds, ce qui ne lui serait pas impossible, puisqu’elle produit dans une bonne année tout le blé qu’il lui faut, qu’elle exporte du vin et du sucre et qu’elle peut élever et nourrir assez d’animaux de toute sorte pour ses besoins. Supposons que, dans une France ainsi entourée d’une muraille de Chine, un coup de baguette double tout à coup la quantité de monnaies d’or, d’argent, de cuivre, que renferment les caves de nos banques et les poches des particuliers. En serons-nous plus riches ? La position relative de chacun par rapport à son voisin n’aura pas changé. Nous n’aurons ni plus de céréales, ni plus de viande, ni plus de fruits, ni plus de maisons, ni plus de vêtemens parce que nous aurons plus de monnaie. Mais ce qui est vrai, c’est que, avec cette monnaie plus abondante, nous pourrions, en supposant alors la muraille abattue et le contact rétabli entre l’univers et nous, acheter au dehors d’autres produits, matières premières ou objets fabriqués, dont nous désirerions faire l’acquisition.

C’est au point de vue des échanges internationaux que, dans l’état actuel de l’humanité, les métaux universellement admis en paiement nous rendent le plus de services, et c’est précisément parce que l’argent n’est plus admis en paiement par les pays civilisés que les Américains feraient fausse route en voulant lui rendre la force libératoire. Ils auraient eu beau légiférer en ce sens : si les puissances européennes conservent leur système monétaire actuel, le dollar d’argent américain frappé en quantités illimitées ne vaudrait que son poids d’argent sur le marché international, comme la piastre mexicaine ou le yen japonais. Nous avons montré la crise violente que ce changement d’étalon amènerait pour les particuliers et les sociétés américaines qui ont contracté des dettes à l’étranger. En admettant même que, au bout d’un certain temps, les blessures cruelles infligées de ce chef se cicatrisent, que l’équilibre se rétablisse, notamment pour les compagnies de chemins de fer, par l’élévation des tarifs, nous ne voyons pas qui, sauf les propriétaires de mines d’argent, retirerait un avantage de cette révolution. Nous ne pouvons donc, en amis sincères, que féliciter nos voisins d’outre-mer d’avoir élu un président qui leur épargne une semblable expérience. Souhaitons que, loin de les entraîner à l’aventure périlleuse où une partie de la nation semblait prête à se lancer. Mac-Kinley les retienne au port et leur inspire, grâce à une vue plus réfléchie des choses, le désir d’asseoir définitivement leur système monétaire et fiduciaire sur la base solide du monométallisme, seul capable d’épargner au pays le retour des épreuves qu’il vient de traverser.