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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/396

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de Grèce où tout est archaïque. Son culte y remplace celui d’Héra, l’épouse de Zeus et l’ennemie des Troyens et de Carthage. Elle y est adorée sous le triple vocable de Despoina, Kallisté, Sôteira, « maîtresse », « toute bonne » et « dieu sauveur », dans lesquels M. Bérard a reconnu avec raison les titres à peine déguisés de Rabbat, Naamat, Oz-Hayim, sous lesquels les Sémites invoquent tour à tour leur déesse souveraine.

Les représentations antiques de Déméter confirment les inductions que l’on peut tirer de son caractère. A Phigalie était un antre consacré à Déméter et dans cet antre un xoanon, c’est-à-dire une statue en bois de la déesse. Elle était représentée assise sur une pierre. Pour le reste du corps, elle ressemblait à une femme, mais elle avait la tête et la crinière d’un cheval ; des serpens et toutes sortes de fauves étaient attachés à sa chevelure. Elle était vêtue d’une tunique qui la couvrait jusqu’aux pieds ; elle avait un dauphin dans la main droite, dans la gauche une colombe. On l’avait surnommée Melaina, « la noire », à cause de son vêtement. Laissons de côté les serpens et la tête de cheval, qui nous rappellent Pallas et Poséidon, mais dont l’étude nous entraînerait trop loin ; cette « vierge noire » avec un dauphin dans une main, une colombe dans l’autre, est une divinité marine, sœur d’Aphrodite, de Sémiramis et de Derketo, la Vénus d’Askalon.

Une autre statue, non loin de celle-là, n’est pas moins instructive ; elle représentait une des filles de l’Océan, dont le nom grec, Eurynomé, pourrait bien être un vocable sémitique et cacher une Naamat. Or, voici ce qu’en dit Pausanias : « J’ai appris des Phigaliens que c’est un xoanon, qu’elle est attachée par des chaînes d’or, et que, femme jusqu’aux cuisses, elle se termine en poisson. » Si l’on veut se figurer cette déesse, il faut se reporter à ces intailles orientales qui représentent un dieu et une déesse, moitié homme, moitié poisson, surmontés du disque et du croissant, et enveloppés de méandres qui figurent les flots, et dans lesquels l’imagination des Grecs a pu voir les mailles d’un filet. Ils en ont tiré le mythe gracieux de Dictynna, la déesse au filet qui, poursuivie par Minos, se jette dans les flots et tombe dans les filets d’un pêcheur. Dans Homère, la déesse au filet se nomme encore Aphrodite. Près d’elle, enfermé dans le même filet, était Arès. Et tous les dieux, riant, enviaient le sort d’Arès. Et le fils de Zeus disait à son frère Hermès : « Ne voudrais-tu pas être pris sous les mêmes liens pour dormir à côté de la blonde Aphrodite ? » Seul le dieu des mers, Poséidon, ne riait pas, et il intervint en faveur des captifs. Aussitôt délivrée, Aphrodite s’enfuit à Chypre, dans sa ville de Paphos. Au fond, les Grecs ne se trompaient pas.