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TROIS « ACTES » DE M. SUDERMANN

M. Hermann Sudermann a fait représenter le même soir, à Vienne et à Berlin, trois pièces en un acte, réunies sous le titre collectif de Morituri. L’accueil n’a point été égal : Berlin s’est montré, dit-on, beaucoup plus récalcitrant que Vienne. D’abord, sans doute, parce que nul n’est prophète dans sa patrie ; et puis peut-être aussi parce que l’auteur de Magda excelle à prendre sur le vif, — sans d’ailleurs la désapprouver, bien au contraire, comme nous le verrons tout à l’heure, — la brutalité des Junker de son pays. Les gens sont ainsi faits, qu’ils n’aiment pas à se voir peints trop ressemblans.

Comme leur titre l’indique, les trois pièces en question sont reliées par une idée, ou plutôt par une intention commune : elles cherchent à représenter comment des hommes différens aiment et se comportent en face de la mort. Sujet qui ne manque pas de grandeur, sans doute, mais que l’auteur a diminué en nous promenant, pour l’élargir, du monde des Goths au royaume de la fantaisie.

La première pièce, Teja, nous transporte dans le camp d’une tribu de Goths, assiégée, affamée et perdue. Leur jeune roi vient de se marier, quand arrive la nouvelle que les vaisseaux sur lesquels il comptait pour ravitailler son peuple, sont perdus. Il décide aussitôt une sortie pour le lendemain, une sortie où l’on sera un contre cent, où l’on mourra tous, mais les armes à la main et non pas dévorés par la famine. Pendant sa dernière veille, celle qu’il a épousée, sans l’avoir même regardée et seulement pour satisfaire aux usages de la tribu, — lui révèle le trésor de l’âme féminine, la tendresse qui comprend mieux que l’intelligence, le dévouement qui soulage et qui console. C’est un monde