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peu il est rassuré par l’atmosphère de sympathie qu’il devine autour de lui. Il se livre davantage ; il éprouve une joie intense et double à donner la note la plus profonde de son âme et à entendre l’écho qu’elle éveille dans d’autres âmes. Désormais il s’affranchit de toute mauvaise honte, et de ces scrupules d’art qui jadis lui faisaient repousser certains moyens trop faciles de provoquer l’émotion. Pourquoi cacher ce qu’il y a en lui de meilleur ? Pourquoi refréner les élans d’une sensibilité qui brûle de se répandre sur toutes choses, puisque aussi bien la pitié, si large soit-elle, n’égalera jamais l’immensité de la souffrance ? Pourquoi les soumettre au contrôle de la raison qui est froide et du bon sens qui est mesquin ? La bonté est supérieure à la justice. Rien n’est vrai que de pardonner, et cela est tellement plus commode que de juger ! Ce n’est qu’une habitude à prendre, mais qui sitôt prise supprime les hésitations, nous dispense du discernement, donne aux arrêts que nous rendons une assurance et une solennité extraordinaires. C’est ainsi qu’un écrivain sensible en vient à prendre les suggestions de son instinct pour autant de révélations qu’il traduit ensuite en oracles. Et c’est à peu près, nous semble-t-il, en suivant cette pente que le poète exquis des Humbles est devenu l’auteur de ce livre du Coupable[1], livre généreux s’il en fut, mais qui, au premier abord, ne laisse pas que de paraître un peu surprenant.

C’est le mérite de M. François Coppée d’avoir étendu le champ de notre poésie française en faisant entrer dans la littérature tout un ordre de sentimens et en lui adjoignant un personnel qu’elle avait jusqu’alors ignoré ou même dédaigné. Né lui-même chez les humbles, élevé dans un intérieur dont il a par la suite décrit très fréquemment et avec une pieuse insistance le train modeste et les vertus familiales, il n’a eu qu’à regarder autour de lui pour apercevoir tous les trésors intimes qui se dépensent quotidiennement dans ces simples existences. Il n’a pas cherché ailleurs une inspiration qui lui était suffisamment fournie par des choses qu’il connaissait bien. Tous ces cliens médiocres, employés ponctuels, débitans scrupuleux, ouvriers des faubourgs, rentiers des provinces, nourrices dépaysées, vieilles filles immolées sur l’autel du célibat volontaire, ces héros de sacrifices obscurs avaient droit qu’une sympathie vînt les découvrir dans leur humilité. M. Coppée a dégagé de ces milieux ternes une poésie qui sans doute ne pouvait avoir beaucoup d’éclat, mais qui est encore de la poésie. En relisant les recueils qui ont établi la réputation de l’écrivain, on est frappé de voir combien de ressources il y mettait au service de son émotion et comme le poète y était merveilleusement secondé par l’artiste. Doué à un degré éminent du sens de l’observation, il excellait à trouver le détail pittoresque et disposait ses cadres avec un soin

  1. Le Coupable, par M. François Coppée, de l’Académie française, 1 vol. in-18 ; Lemerre.