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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/461

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« petit Dieu », et comme elle était bonne fille, elle ne le fit pas languir inutilement. — Donadieu travaillait pour un bronzier, et quand il avait achevé une commande il menait Héloïse dîner au Moulin de la Vierge. — Héloïse faisait des confections pour le Bon-Marché ; sans les quarante sous d’Héloïse, on aurait quelquefois déjeuné et dîné par cœur rue du Terrier-aux-Lapins. — Quand ils eurent un peu d’argent, ils firent un tour à la mairie, et la noce fut célébrée sans faste. — Héloïse reprisait les vestons de son mari. — Le dimanche on allait à la campagne avec les camarades : on revenait fatigués, mais contens. — La vertu est toujours récompensée. Donadieu fut décoré de la Légion d’honneur et devint membre de l’Institut. Comme Héloïse avait perdu son chat, son mari lui rapporta des Enfans-Trouvés un petit garçon tout poussé, qui fut surnommé l’Ogre à cause de son grand appétit. » Donc, jeunes gens, voulez-vous devenir membres de l’Institut et connaître la dignité du foyer ? épousez Héloïse, épousez Perrinette. Et vous, chefs de famille aux sourcils froncés, déridez-vous, ouvrez vos bras, mettez le baiser de paix au front des épouses de vos fils !

Je ne m’attarderai pas à énumérer les objections que de bons esprits pourraient opposer à cette théorie. Ce qui mérite davantage d’être relevé, c’est la perpétuelle antithèse qu’établit l’auteur du Coupable entre deux classes sociales : la bourgeoisie d’une part et le peuple de l’autre. La division est nette, bien tranchée et obtenue par des moyens de simplification à outrance. D’un côté tous les vices, et de l’autre côté toutes les vertus. Là, c’est le groupe des pharisiens, le chœur des repus et des satisfaits, rendus plus odieux encore par leur affectation d’honnêteté et leur hypocrisie. Ici ce ne sont qu’inspirations généreuses, actes de dévouement, luttes sublimes. Plus on s’éloigne du peuple et plus on s’éloigne de la vérité et de la santé. Donadieu est encore engagé dans ses rangs ; c’est pourquoi il est un exemplaire de tout ce qu’il y a de meilleur dans l’humanité. Héloïse est une fille du peuple ; c’est pourquoi elle est si supérieure aux demoiselles qu’on élève dans les couvens ! Et voici l’ouvrier au cœur d’or qui répare les torts du petit bourgeois égoïste, l’assassin vertueux qui, le crime une fois commis, ne dépense l’argent volé qu’en aumônes. La scène où Chrétien Forgeât, parti en quête d’une aventure d’amour, s’attendrit sur un berceau et pleure au souvenir de sa mère, a dû faire tressaillir d’aise les grandes ombres romantiques. Continûment ce sont les modistes et les « pantes » qui dictent leur devoir aux représentans des hautes classes. M. Coppée n’admet pas davantage que la pureté de l’âme puisse être compatible avec la politesse des manières, ni qu’il y ait de salut en dehors du débraillé de l’existence. Un noble cœur ne peut battre sous une redingote : l’héroïsme ne revêt que le bourgeron, et la vertu ne va qu’en cheveux. Car l’idéal