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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/726

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et si fort que parce qu’il a été l’homme des circonstances, doit savoir qu’on ne peut rien contre elles. Heureux celui qui sait les bien servir.

La paix est conclue entre l’Italie et l’Ethiopie. Nous nous contentons pour aujourd’hui de signaler cette bonne nouvelle qui a causé dans toute l’Europe une véritable satisfaction, et qui a été accueillie en Italie avec un sentiment de joie et de soulagement. La lenteur des négociations avait fini par inspirer des inquiétudes sur la manière dont elles se termineraient. Le pape avait échoué dans celles qu’il avait entreprises directement pour obtenir de Ménelik la libération des prisonniers. Quoiqu’ils fussent très humainement traités, un grand nombre de ces derniers étaient morts, et ce n’était pas sans une anxiété qui avait fini par devenir silencieuse comme le désespoir, que l’Italie pensait à ceux qui restaient encore. Le bruit courait, — peut-être le gouvernement ne faisait-il rien pour l’arrêter, — que les exigences du négus étaient inacceptables : elles devaient, lorsqu’on les connaîtrait, sembler moins lourdes par comparaison avec ce qu’on en avait craint. Elles ont été honorables pour les deux parties. Ménelik a été habile dans sa modération ; il a montré par-là qu’il désirait une paix sincère et durable. On sait la bonne grâce qu’il a mise à libérer les prisonniers sans attendre la ratification du traité, en profitant de l’occasion que lui offrait l’anniversaire de la naissance de la reine Marguerite. Ces bons procédés témoignent de ses intentions conciliantes. La paix s’est faite sur la base du statu quo ante, dans ce sens que chacun reste chez soi, les Italiens en Erythrée, d’où ils ont eu le tort de vouloir sortir, et les Éthiopiens en Ethiopie. La frontière du Mareb-Belessa-Muna, qui a été acceptée de part et d’autre, sauf à être plus exactement déterminée par une commission technique, est celle qui séparait autrefois les deux pays. Si les Italiens avaient été refoulés jusqu’au triangle formé par Massaouah, Asmara et Keren, ils auraient perdu le territoire compris entre cette ligne et l’ancienne frontière, qui devient la nouvelle. Probablement ils ne s’y seraient pas résignés ; la guerre aurait continué ; mais cette obligation qu’ils auraient acceptée si l’honneur la leur avait imposée ne se présentait pas à leur esprit sans angoisse. L’aventure africaine est finie. Les journaux de M. Crispi ont essayé de protester ; leur voix s’est perdue dans le vide. La satisfaction a été générale. En Italie, comme ailleurs, un système s’est écroulé en même temps qu’a disparu l’homme qui le représentait. Le succès que vient de remporter le gouvernement de M. di Rudini consolide la situation nouvelle : il enlève au passé sa dernière chance de résurrection.


Francis Charmes.


Le Directeur-gérant F. BRUNETIÈRE.