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ROME ET LA RENAISSANCE

SOUS LA VOUTE DE LA SIXTINE
1508-1511


I

Grâce à ma posture si tendue, j’ai déjà gagné un goitre, et mon ventre touche presque au menton. Plus je dresse ma barbe vers le ciel, et plus je sens mon cerveau descendre le long de mes épaules, tandis que le pinceau, sans cesse dégouttant, fait de mon visage un magnifique pavé aux couleurs bigarrées. Les jambes me sont rentrées dans la panse… et mes yeux ne peuvent voir où se dirigent mes pas. Mon esprit ne porte que des jugemens faux et bizarres : un fusil tordu ne donne pas un tir juste… Défendez donc, ô ami, mon honneur et mon art également fanés ; car ma place n’est pas tenable, et la peinture n’est point mon fait !…


Ce sonnet d’un drolatique lugubre, Michel-Ange l’adressait à un certain Giovanni da Pistoia[1], un jour de mauvaise humeur et de découragement ; et il connut beaucoup de ces jours sous la voûte de la Sixtine… On sait ses démêlés avec Bramante, dès le début, au sujet d’un malencontreux échafaudage que le grand architecte lui avait fait arranger, et que le peintre eut hâte de remplacer par une construction toute nouvelle et des plus ingénieuses. « Il lui fallait un pont aux dimensions de la chapelle elle-même ; sur cette spacieuse estrade plusieurs tours mobiles

  1. Rime di Michel Angelo, éd. Guasti, p. 158. L’autographe du sonnet existe encore ; en marge, on voit l’esquisse d’un homme qui, le ventre rebondi et la tête en arrière, est en train de peindre un plafond auquel il est suspendu par des cordes.